Brèves de cantine

Vie de brousse

Mais cette introduction fut rapidement interrompue par mon affectation en brousse sur les chantiers d’exploitation diamantifère où pouvait commencer mon apprentissage. D’abord familiarisation avec la prospection chez un prospecteur qui m’hébergeait, puis en  » roue libre  » ou presque – car j’étais sous la coupe d’un chef de chantier chevronné – sur un petit chantier d’exploitation, un ancien petit lit enterré. Chaque matin, je convoyais ma petite équipe dans un vieux pick-up hérité du plan Marshall et qui tenait avec des fils de fer. L’un de ces ouvriers se nommait Degaulle ! Pourquoi pas ? On avait bien rencontré Emmanuel, le sorcier malingre, du bout de la rivière qui avait deux fils, l’un prénommé Vendredi, l’autre Dimanche. Voulant que l’un d’eux nous accompagne pour porter le petit ananas cadeau, le père appela Vendredi, qui devait être naufragé ! Sans réponse, il héla Dimanche qui, par chance n’était pas férié ! Ceci dit, notre sorcier était un homme prudent car il revenait d’une consultation chez le médecin.

Ce fut dans ce petit bras de rivière enfoui sous terre que je trouvais mon premier diamant, grâce à un ouvrier qui surveillait et attira mon attention, sinon je l’aurais peut-être laissé partir ! Je passais ainsi ma période d’essai, apprenant le métier et découvrant l’Afrique.

Ces années passées en Centrafrique n’ont pas manqué de laisser des traces dans les  mémoires de la famille, enfouies profondément, comme enfermées dans un coffre dont  aurait perdu la clef. Au détour d’une pensée, d’un mot, surgit parfois, un souvenir qui  remonte de ces profondeurs : visage ou anecdote oubliés.

Ce qui nous marquait le plus était cette affabilité et cette entraide que l’on rencontrait partout. Ainsi, arrivant à l’improviste quelque part, on était sûr d’être reçu, de se voir offrir une boisson, voire le repas, voire le coucher. Il était amusant de retrouver sur toutes les tables la boîte de Nivaquine et la bouteille de Johny Walker dans laquelle une décoction de petits piments dans de l’huile remplaçait le liquide originel.

 Il est vrai que se faisait une assez grande consommation de whisky. Le repas était toujours  frugal : les boîtes de conserve étaient les mêmes partout, la viande de bœuf étique, locale, aussi peu ragoûtante et le fruit local, papaye, mangue sauvage, goyave, quelque fois remplacés par une pomme de France dont on ne mangeait que la moitié. Mais on s’adaptait à cette vie plus frugale où les besoins essentiels prenaient toute leur importance. Il est non moins vrai que l’on n’hésitait pas à faire des kilomètres de piste pour apporter du courrier ou des  légumes frais.

A quelques mois de mon arrivée, j’héritais d’une camionnette Renault aussi adaptée à la piste africaine qu’une trottinette peut l’être à une piste de ski. Parti faire une petite reconnaissance et ignorant comment fonctionnait cet engin, je me retrouvais en panne  d’essence, nouvelle preuve de mon inexpérience. Je réussis à convaincre un passant de me prêter sa bicyclette et je dus faire une quinzaine de kilomètres de mauvaise piste chevauchant ce mauvais vélo mal gonflé. Par temps de pluie, c’est à dire de bourbier, ce véhicule avait tendance à glisser et à patiner.

Il apparaîtra cependant pratique, bâché ou non, quand il me faudra transporter toute la famille, femme et enfant, et le matériel  domestique, casseroles, lits, frigo, poules, chien, provisions plus le boy. Pour de petits  déplacements, j’y avais installé un lit picot bien pratique pour passer la nuit !

Chaque déplacement était une source d’excitation, une sorte de départ vers une nouvelle petite aventure. Quels aléas allaient se présenter sur la route ? Quels nouveaux paysages s’offriraient à nos regards ? A quels événements, à quels spectacles allions nous assister ou participer ?

Des missions en brousse de plusieurs semaines nous amenaient ainsi à loger, près des chantiers d’exploitation, dans des cases de brousse en poto-poto, le pisé local, au toit de tuiles de bambous, sans plafond. Sur les murs couraient parfois des rats, ces petits rats de brousse, qu’à l’occasion un serpent avalait Un de ceux-ci tomba ainsi, lové, aux pieds de ma femme. Cette case n’était d’ailleurs pas sans autres ressources. Il arrivait que, vers le soir, des scorpions grimpent le long des murs. Nous étions envahis par de toute petites fourmis qui s’infiltraient dans le pain. Tous nos essais pour les en empêcher restèrent vains, ces bestioles évitaient soigneusement les poudres insecticides et seul le réfrigérateur était à peu près sûr encore que des cancrelats réussissaient à y survivre. Pour les empêcher de grimper dans le lit de mon fils qui était constamment piqué, les pieds du lit étaient plongés dans des boîtes de conserve emplies de pétrole. La nuit, les chauves-souris roussettes venaient dérober des bananes au régime accroché sous l’auvent.

J’avais essayé de vérifier la légende qui prétend qu’un scorpion encerclé de feu se suicide. Tout ce que je réussis à faire, c’est le brûler !

Au cours d’une de ces villégiatures, je m’étonnais que nos poules ne donnent pas d’œuf. Je soupçonnais le boy Danzio et le menaçait de l’envoyer travailler sur le chantier. Mais un soir, il apparut triomphant en criant :

 » Patron ! patron ! le serpent il a mangé l’œuf ! « 

Effectivement, un serpent de taille moyenne avait repéré l’endroit de ponte et s’infiltrait chaque soir à travers les pailles de la cuisine pour se servir. Un coup de machette bien placé et le serpent avait rendu l’œuf volé. Danzio me dit avec arrière-pensée :

 » Vous voulez l’œuf ?
 Oh que non ! « 

Au cours d’un de nos séjours dans le nord, nous avons eu, un soir, la visite de femmes Peuls et l’une d’entre elles apportait une calebasse de lait pour notre fils. Ce geste sera répété et cette gentillesse, plusieurs fois constatée chez ces éleveurs, s’accordait avec la beauté de ces hommes et femmes élancés, à la peau bleutée. Nous ignorions, à l’époque, que l’urée est un excellent conservateur pour le lait, surtout celle de femme !…

Le samedi ou le dimanche nous rendions visite aux autres familles éparpillées le long de la rivière au gré des chantiers d’exploitation.

Chemisette et short blancs de rigueur finissaient, très rapidement, par être salis au cours d’une panne, d’un incident, immanquablement ! Short blanc sale mais tout de même avec plus d’allure que Pâ, le boy, qui roule des mécaniques, vêtu d’un éternel short dégueulasse et d’une chemise déchirée dans le dos, le trou s’agrandissant chaque jour. Il attendait qu’elle tombe toute seule.

Quelques personnages traversaient le paysage tels ce jeune prospecteur avec une petite fille de huit mois, ou celui-ci dont la femme s’ennuie, ou cet autre de cinquante-cinq ans, l’aventurier, Indochine, Afrique, Tahiti, cultivé, paludéen et alcoolique, ou ce mécanicien sympathique mais un peu paumé surtout quand il boit et ce chef, protestant, raciste, n’aime pas vivre en société et dont la femme éduque sévèrement le fils de dix ans. Plus tard, d’autres figures apparaîtront dans cette galerie, tel ce boulanger, vieux radoteur… une vedette, dont le parcours n’est pas très clair, interdit de séjour en France ? Tel encore, celui-ci, enfant de troupe, illettré, Indochine, interdit de séjour peut-être mais très gentil qui aura de nombreux enfants locaux.

Jean-Claude MICHEL

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