Brèves de cantine

Chasse à l’éléphant…

En file indienne, les villageois marchaient à vive allure, slalomant entre les hautes herbes de la savane, suivant un sentier à peine visible. Il était encore tôt mais le soleil commençait à se faire sentir et je respirais ces poussières désagréables qui jaillissaient des herbes quand nous les frôlions. De temps à autre, l’allure ralentissait quand les marcheurs pénétraient, aux abords d’un ruisseau, dans un sous-bois aux buissons serrés entre les arbustes ou quand il fallait franchir une entaille aux pentes raides où stagnaient des mares d’eau boueuses. Les vêtements se mouillaient au contact des feuilles encore suintantes de l’humidité nocturne.

 Un éléphant avait été tué la veille par un visiteur, venu des États-Unis, à une dizaine de kilomètres du village du N…., dans l’est centrafricain. Ce chasseur d’ours rêvait d’inscrire un éléphant à son tableau. Il ne s’attendait certes pas à se retrouver à quelques mètres de l’animal invisible dans les broussailles. Heureusement, notre mécanicien qui l’accompagnait assura le coup de grâce, sinon notre homme aurait dû, slalomant entre les arbustes, fuir devant un éléphant blessé écrasant tout, droit devant soi.

Selon la règle, la viande en revenait aux villageois. Après de forts conciliabules, tout le monde s’était donc mis en route, tôt le matin, à l’exception des femmes qui étaient parties la veille pour préparer les étals à boucaner la viande. Il convient ici de rapporter la croyance locale selon laquelle une femme enceinte ne peut voir un éléphant mort. Eh ! bien, cette croyance s’est vérifiée. Sous la pression des superstitions et sans doute aussi à cause de la fatigue d’une marche forcée, une femme a effectivement avorté.

Je fus surpris de voir la petite taille de l’éléphant couché, à peine visible entre les arbres. Certes les éléphants de savane ne sont pas très grands mais celui-ci était apparemment un jeune. Il était déjà gonflé comme un énorme ballon et il s’en dégageait une désagréable odeur. Nous étions dans une forêt d’arbres de savane, de taille moyenne, et de broussailles qui ne permettaient pas de voir à plus de quelques mètres. Rapidement les hommes se mirent à élargir et nettoyer la place. Sur un côté se trouvaient les étals faits de branches, brêlées à l’aide de fils arrachés aux plantes, sur des pieds d’un mètre et demi de haut.

Sous les ordres du chef, un homme perce le ventre de l’animal qui émet un sifflement accompagné d’une méchante odeur.  Un autre retire les défenses qui reviennent de droit au chasseur ainsi que les pieds. Puis, il commence à découper la peau avec dextérité, décollant une première plaque. D’autres interviennent et continuent le travail jusqu’à mettre à nu la viande.

On sent l’excitation gagner peu à peu. Le ton monte. Le chef invective en brandissant sa machette. Plusieurs hommes entament la découpe de la viande. Le cercle se resserre, les femmes restées à l’écart se rapprochent. Un troisième cercle apparaît, celui de chiens que je n’avais pas remarqués. Rapidement, le premier côté de l’éléphant est taillé en pièces. Les femmes emportent prestement les morceaux et les chiens se rapprochent avec crainte en se faufilant, happant ici ou là un morceau. 

Apparaissent alors les entrailles, les cris se font plus intenses, la tension monte de plusieurs crans. Tous se précipitent à la vue des intestins, morceaux de choix.  Le chef hurle, joue de la machette mais personne n’en a cure. Machettes et haches frappent sans relâche au risque de tailler dans le voisin. Quand, tout à coup, une machette malheureuse perce le gros boudin de l’intestin qui laisse s’évader un flot d’une bouillie verdâtre, s’écoulant jusqu’à mes pieds en dégageant une odeur épouvantable.

La folie gagne, le chef hurle de plus belle, menace, bombarde les récalcitrants avec des poignées de cette bouillie intestinale. Il suspend le massacre, fait reculer tout le monde et essaye de remettre de l’ordre. La pression baisse momentanément. Puis, l’agitation reprend et les entrailles disparaissent à leur tour, évacuées par les femmes et les chiens.

La deuxième partie de l’animal, côté sol, disparaîtra à son tour. Rien ne sera laissé, pas même un morceau de peau.

J’avais, quant à moi, mission de récupérer les filets, bien petits !

Nous eûmes beaucoup de mal à manger cette viande trop fraîche !

Jean-Claude MICHEL

Laisser un commentaire