Brèves de cantine

Les premiers pas d’une femme de géologue en brousse

Embauché en Avril 1961, après ma libération d’un long service de maintien de l’ordre en Algérie, je suis envoyé en Côte d’Ivoire pour une recherche de lithium et béryllium liés à quelques massifs granitiques (Bonaoué, Agboville et  Abengourou).

Après un passage à Abidjan, je prends une piste pour Bonaoué avec le paquetage bien rangé dans le power-wagon et la Land Rover. Je ne fus pas étonné d’y trouver un seau à douche, un fer à repasser à braise, une pétromax et un réchaud primus, mais surpris d’y voir une chaise longue, un frigo à pétrole et une machine à écrire, quoique pour cette dernière, j’ai vite compris que les rapports avaient beaucoup d’importance pour la Direction du BRGM. D’ailleurs, à l’époque où le
géologue BOLGARSKY faisait Les premiers relevés géologiques de la Cote d’Ivoire, il y a bien longtemps, la machine à écrire faisait déjà partie de la dotation. En effet il avait envoyé une fois un rapport manuscrit à la Direction de Dakar avec la mention : « Excusez mon écriture, mais la machine, l’éléphant il a marché dessus ».

 Dès mon arrivée, je file monter mon camp près du village, soit deux tentes en enfilade. Je me lance le lendemain à l’assaut d’une belle coupole de granite dénudée dominant la canopée, truffée de filons de pegmatite à muscovite dépourvus de lépidolite. A son sommet, trônent côte à côte, un autel fétichiste et une belle statue de la Sainte Vierge. Je comprends qu’il s’agit d’une récupération astucieuse de la part des Pères Blancs. La petite Vierge a-t-elle fini par détrôner les coupelles d’offrandes fétichistes ?

Quelques jours plus tard, je découvre sur des layons que j’ai fait ouvrir, un filon de quartz contenant un cristal de béryl pierreux d’environ cinq centimètres de longueur. Des recherches resserrées dans le secteur n’ont pas permis de découvrir d’autres filons.

Par la suite, j’ai appris que la Société d’Etat Ivoirienne (SODEMI) avait repris les recherches sans plus de résultats, la prospection minière étant très difficile dans cette région à cause d’un couvert important de forêt secondaire.

Deux mois après mon arrivée, Inge, mon épouse, me rejoint toute fraîche sortie de son Danemark natal d’une propreté irréprochable. Maintenant que Madame est là, il faut  aménager un peu de confort en construisant deux cabanes :  une pour les feuillés, l’autre pour le seau à douche (simple seau muni d’une pomme d’arrosoir et d’une cordelette).

Néanmoins, sa première nuit fut perturbée par le son lointain et lancinant du tam-tam provenant du village. A son réveil, elle demande si toutes les nuits seront aussi bruyantes.

 » Non  » lui répond Claude, le prospecteur au caractère taquin venu me rejoindre,  » cependant ils vont peut-être encore jouer quelques nuits. Le chef du village vient de mourir et selon la coutume de l’ethnie locale, l’enterrement aura lieu lorsque quelques sacrifiés seront désignés pour être ensevelis avec lui. Ensuite le tam-tam pourra se taire. Par ailleurs, je t’informe que les manœuvres rapportent que le sacrifice d’une femme blanche compte pour plusieurs autochtones « 

Le lendemain, nous partons pour nos itinéraires. Cependant, je laisse au camp quelques manœuvres sans en avertir Inge. Dès notre départ, celle-ci s’installe dans la chaise longue, La forte chaleur humide l’ayant quelque peu assoupie c’est alors, comme dans un rêve, qu’elle voit surgir de la brousse une horde d’individus, la machette à la main, pieds nus, en haillons, mastiquant la cola et portant sur leur tête soit des perches, soit des feuilles de palmier pour la fabrication des papots. Croyant qu’on venait la chercher pour Le sacrifice du mort, elle fut prise d’une terreur incontrôlable qui s’atténua un peu lorsqu’elle comprit que les manœuvres passaient tout simplement leur chemin pour vaquer à leurs occupations.

A mon retour, elle était encore toute bouleversée et je craignais qu’elle demande à reprendre l’avion pour retrouver son paisible Danemark.

Puis nous déménageons pour Agboville où, avec Claude et sa famille nous nous installons dans une maison de trois pièces située sur la place principale, près d’une brasserie. Il faut croire que les bretons étaient nombreux parmi les planteurs et les forestiers attablés à ce  bistro car tous les samedis soirs, nous avions droit à :  » Ils ont des chapeaux ronds, vive la Bretagne. Ils ont des  chapeaux ronds …  » ! ! ! jusqu’au petit matin.

Chaque semaine, Inge descendait à Abidjan pour faire le ravitaillement en Land Rover avec le chauffeur et chaque fois, elle remarquait une file de camions bananiers et grumiers garés au bord de la piste. Un jour elle demande au chauffeur la raison de cette attente:  » Sont-ils en panne ?  » La réponse fut :  » Oh non, Madame, ils font des heures supplémentaires.  » !!!

Autres souvenirs.

Un chercheur de laboratoire très futé avait remarqué que les muscovites des granites potentiellement favorables à contenir du lithium présentaient des caractéristiques particulières (peut-être une tendance à virer vers la lépidolite). Alors, notre chef a tout de suite été enthousiasmé et nous a envoyé une binoculaire afin de trier les muscovites, après broyage des granites.

Pour ne pas perdre sur mon temps de terrain, je confie la tâche à toute la famille qui, munie de pinces à épiler, se met au travail sans grand enthousiasme. Le rendement fut pourtant acceptable mais mal récompensé puisque les analyses donnèrent un résultat négatif …. ce qui est tout de même un résultat. J’ai félicité les trieurs qui avaient bien travaillé, et à l’œil.

Un jour, notre Directeur Adjoint à Abidjan arrive sans prévenir, accompagné de Pierre LAFFITE, Directeur Général du BRGM. Inge, impressionnée par ce si « grand personnage » le reçoit avec tout le respect dû à son rang et répond consciencieusement à toutes les banalités d’usage : vous êtes-vous bien habituée au climat ? – non j’ai perdu huit kilos ; supportez-vous la nivaquine ? – non ça me donne des nausées ; votre pays vous manque-t-il ? -oui je ne sais pas si je tiendrai le coup ici. Ensuite, on passe aux choses sérieuses et il demande à voir mes ébauches de cartes. Grande inquiétude chez l’hôtesse car notre chambre servait de bureau et les cartes étaient étalées sur le lit conjugal tandis que différents vêtements plus ou moins intimes traînaient de ci de là. Toutefois, elle s’est montrée à la hauteur de la situation et toute fière de pouvoir utiliser les quelques mots qu’elle avait appris avec le cuisinier, elle lance à la volée : « Entrez, Monsieur le Directeur, mais je vous préviens, c’est un vrai bordel ici. » !!!... Il est reparti très satisfait de mon travail et sans doute garde-t-il un excellent souvenir de cet accueil inattendu.

Je conclus ce récit de situations plus ou moins cocasses mais cependant vécues, par l’extrait d’une lettre de La Fontaine :
Je vous ai entretenu de moindres aventures,
Tracé en ces lignes de légères peintures.
Et si de vous agréer je n’emporte le prix,
J ‘aurai du moins l’honneur de l’avoir entrepris.

Jean LETALENET

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