Les clous maléfiques

Les clous maléfiques

Kolobé était le parfait type du « bon noir » sympathique à tous les habitants de Brazzaville. D’un caractère spontané et d’humeur enjouée, il blaguait facilement avec les Européens de la capitale. Ils le savaient un peu « filou » sur les bords » mais ils l’aimaient bien.Les Africains, eux, prétendaient en riant qu’il était « crapule » avait peu a peu acquis cette réputation parce qu’il était en fait plus astucieux que ses concitoyens.Il s’était associé à l’un de ses amis, charpentier de son état, pour sculpter des petites statuettes a proposer aux touristes. Ensemble ils avaient construit, au bord d’une des rues de la ville, une petite cabane avec des tôles déroulées, taillées dans des fûts d’essence v I d e s et 1ls s’enfermaient en fin de semaine, dans cette échoppe improvisée. La crasse accumulée sur les parois du réduit par un foyer central et la forte odeur de fumée augmentaient son aspect insolite et mystérieux.Là, dans ce décor qui voulait secret et « surnaturel » ils lardaient de clous rouillés leurs statuettes préalablement vieillies au feu de bois. Kolobé les revendait ensuite, en jurant ses grands dieux de leur authenticité, l’authenticité » d’autant mieux admise par les « Gogos » que les prix n’étaient pas donnésKolobé é était « Crapule » !Le reste de la semaine, il travaillait chez un Européen célibataire, en qualité de boy-cuisinier ; mais à l’inverse de ses compatriotes qui dépensaient bêtement leur salaire, il avait passé avec son patron l’astucieux marché suivant. Désirant acheter une voiture, il avait demandé a son employeur de ne pas le payer pendant le temps de son service chez lui, mais simplement de garder son argent pendant la durée de son emploi, il vivrait, en attendant, de la vente de ses statuettes et économiserait ainsi la totalité de ses gains domestiques.Kolobé é t a i t « Malin ».Un jour, il eut le culot de proposer a son patron une de statuettes « bidon » ! »Cà va pas non ? Tu me prends pour un touriste ? » « Ah ! jamais Patron ! …. Mais quand même, regarde ça Patron; peut-être c’est pas vraiment le fétiche du sorcier, mais avec des clous plantes comme ça, partout, ça peut donner sort, et même occasionner un « Grand Malheur » promptement Ouais ! Ouais ! insistait Kolobé hilare l’œil malicieux. Il ne pensait cependant pas si bien dire…Trois ans plus tard, le pays accéda a l’indépendance Les conditions de vie se dégradèrent rapidement. Une délinquance larvée s’installa dans la capitale. Les vols et cambriolages se multiplièrent et la concussion se propagea dans tous les services administratifs compris la police. Lasse, le patron de Kolobé rentra alors définitivement en métropole et rendit à son boy-cuisinier, l’intégralité des salaires sagement économisés pendant cinq ans.Kolobé se trouva ainsi à la tête d’une somme rondelette qui lui permit d’acheter une vieille voiture d’occasionIl réalisait d’un coup le vieux rêve qu’il caressait depuis temps où, tout gosse. il tirait derrière lui des boites de sardines à l’huile vides avec une ficelle en imitant le bruit d’un moteur en marche.Il l’avait enfin SA voiture ! Une véritable guimbarde, complètement délabrée qu’il réussit à retaper avec un de ses amis, mécanicien au village. Malgré son aspect de tas de ferraille. il en était très fier.Kolobé abandonna alors son ancien métier de boy-cuisinier et devint chauffeur de taxi. Il concurrençait ses collègues et s’était attiré leur inimitié en pratiquant des tarifs réduits. De plus, grâce à son frère employé à la Mairie, il échappait à la patente et ne réglait pas ses contraventions. En outre, petit cousin d’un fonctionnaire attaché aux Contributions, il ne payait ni taxes, ni impôts. On pouvait lui accorder le mérite de savoir utiliser les compétences des membres de sa famille.Son taxi pétaradant était toujours plein. Outre les passagers, transportait à la demande, les bagages les plus hétéroclites : poulets, meubles divers, fagots de bois de chauffage, calebasses débordantes, légumes, cabras. etc…Or un soir, ayant terminé sa journée. il eut la malencontreuse idée de prendre rue passant devant l’échoppe où son ami charpentier fabriquait ses statuettes. Mal lui en prit, car à la hauteur de la boutique un des clous utilisés pour ses « fétiches porte-bonheur » qui trainait par terre. se planta dans le pneu arrière de son taxi.Calmement, Kolobé arrêta son tacot et, sans se presser, commença à changer sa roue crevée. C’est alors qu’une voiture, conduite par un Africain, déboucha à vive allure. Arrivé à sa hauteur, le chauffeur freina brusquement et stoppa quelques mètres plus loin dans un nuagede poussière Kolobé, la clé à boulons à la main, leva la tête et resta stupéfait de voir le chauffeur sortir précipitamment de la cabine, prendre un cric dans le coffre et s’élancer vers lui à la rescousse.Cette vélocité pour venir à son secours l’émut et l’étonna il accueillit l’homme avec un sourire reconnaissant.Mais le dépanneur bénévole plaça d’autorité son cric sous l’essieu de l’autre roue arrière non crevée celle-là et sans un mot commença le démontage à toute vitesse.Kolobé resta un moment immobile, interloqué, mais lorsqu’il le vit déboulonner la roue, il lui expliqua en riant : « Hé là ! Hé là ! non, non, elle est pas crevée celle-là. C’est pas la peine de la change r •Mais le forcené n’écoutant pas Kolobé, continuait a enlever la roue »Hé dis donc, dis donc, répéta ce dernier, je te dis que roue la, elle est pas crevée, elle est bonne, faut pas y toucher. »Eh ! bien justement, si elle est bonne, je la prends ! « Mais il est fou ce type » pensa Kolobé.ceuLe – DIs donc toi, il ne faut pas me narrer hein ! Je te dis présentement que cette roue-là, elle est pas crevée. Tu laisses ça précipitamment et tu touches plus à rien du tout.- Comment ça je touche à rien du tout ? Toi, tu prends une roue et tu m’empêches deprendre l’autre ! Moi, je prends aussi une roue, on gagne tous les deux une égalité bénéfique. Toi tu voles trop lentement. Il faut faire vite, sinon, on va se faire voir et je ne veux pas faire arrêter par la police parce que toi, tu voles moins vite que moi.- Mais je vole à RIEN ! MOI. C’est MA voiture personnellement, ici, présent et je change une roue que je viens de CRrrréver devant moi, sous mes yeux témoins, vrRrrraiment- Non, non,поп… faut pas me narrer des nouvelles inauthentiques. Toi, tu voles veritablement un pneu, moi aussi, j’en prends un, pareillement, c’est normal tu n’as riena dire et je te merde fortement !Cette fois-ci Kolobé explosa :-Moi aussi, je te merde. La voiture est à MOI! Tu enlèves ton cric présentement ou je casse ton gueule et j’appelle la police indubitablement tout de suite.Au mot POLICE, l’autre fut saisi. Cette mise en garde, exprimée sur un ton violent qui risquait d’ameuter le voisinage, lui démontrait que la voiture appartenait bien à Kolobé. Revenu de sa méprise, le voleur embarqua hâtivement son cric, sous le regard menaçant de Kolobé.- Sauvouage ! Toufi nan gué ! lui cria-t-il.- Sale nègre ! répondit l’autre en démarrant d’autant plus vite que des passants débouchaient du tournant en face.Kolobé resserra ses boulons et terminait la mise en place de sa roue de secours lorsqu’un Européen. remontant la rue en voiture, le vit. Par sympathie et parce qu’il était de nature serviable. Il s’arreta à sa hauteur pour lui proposer son aide.Kolobé, encore sous le coup de la colère, répondit sèchement qu’il n’avait besoin depersonne pour terminer son travail. L’Européen qui avait eu un élan de gentillesse envers un homme en difficulté fut véxé d’une telle rebuffade et poursuivit sa route. »Quel con ce mec, songeait-il, pour refuser ainsi une aide, c’est qu’il est certainement ensituation irrégulière; je l’ai sûrement surpris en train de voler les pneus d’une voiture à l’arrêt ! Encore de ces petits fumiers de voleurs qui sévissent de plus en plus en ville maintenant. Il y en a marre. Celui-là, je vais lui donner une leçon qui lui ôtera l’envie de recommencer.Arrivé chez lui. il téléphona à la police pour l’informer qu’un salopard était en train de voler les pneus d’une voiture arrêtée dans la rue, à près de cent mètres de sa villa.Kolobé venait juste de charger sa roue crevée et son cric dans le coffre lorsqu’il vit arriver sur lui, un car de police qui s’arrêta brusquement. Deux agents en sortirent et l’apostrophant, l’emmenèrent au poste malgré ses véhémentes protestationsLe commissaire de police reconnut Kolobé avec une satisfaction vengeresse non dissimulée..- Ah ! tu crois que parce que tu as un frère à la Mairie et cousin aux Impots, tu peux voler dans la ville sans problème hein ? Mais cette fois-ci mon petit saligaud, tu vas payer et c’est moi BOJOMBO, commissaire de police de Brazzaville qui de le dis : cette fois-çi, tu feras pas sauter ta contravention enfonce toi bien ça dans le congolo… et pour ponctuer son affirmation afin d’être parfaitement crédible, il lui envoya un grand coup de poing dans le nez !Kolobé passa la nuit au poste après ce sévère « interrogatoire ».Une enquête rapide confirma que la voiture en panne etait bien sa propriété : il fut rendu à la liberté le lendemain matin et retourna chercher son taxi.Ce dernier reposait par terre sur les noyeux !Pendant que Kolobé passait sa nuit au poste, on lui avait volé ses quatre roues…Il apprit par la suite que les auteurs du larcin étaient des prisonniers de droit commun, libérés chaque nuit par le commissaire BOJOMBO en personne, avec ordre de cambrioler pour son propre compte de revenir à l’aube, afin de lui ramener les butins … à partager.Kolobé se rappela alors que dans les années passées, en cherchant a vendre a son ancien employeur une fausse statuette qualifiée d’authentique, il lui avait déclaré- Ah! Patron : c’est peut-être pas un vrai fétiche de sorcier mais, avec un clou plante dedans, comme ça, ça porte toujours malheurA l’époque, il ne pensait pas si bien dire…

Jim MARCHESSEAU