Le Quebec par Pierre CHAUMONT

En 1966 démarrait la mission Cuivre Abitibi, dans la province de Québec, au Nord de Chibougamau, petite ville de 10 000 habitants, située à 500 km (à vol d’oiseau) au Nord de Montréal. Comme la plus grande partie du Canada, le Québec est recouvert d’une moraine quaternaire pouvant atteindre plusieurs mètres d’épaisseur, ce qui diminue la possibilité de trouver des affleurements in situ. La méthode utilisée pour la recherche des gîtes sulfurés est La géophysique, suivie de sondages. Après avoir choisi une zone favorable d’après la carte Géologique locale et avec l’approbation du géologue administratif officiel établi à Chibougamau, commençait un levé géophysique aéroporté associé à un levé photographique. La compilation du magnétisme aéroporté aboutit à sortir une carte en isogames. Après interprétation de cette carte, eut lieu, au sol, un balayage systématique des conducteurs reconnus par la prospection aéroportée. Dans la région de Chibougamau, la chalcopyrite est généralement accompagnée de pyrrhotite. Les instruments géophysiques mesuraient donc le magnétisme pour détecter la pyrrhotite et l’électromagnétisme le pour détecter les sulfures en général, et aussi le graphite, malencontreusement présent. Après interprétation des résultats, le choix de l’emplacement des sondages était déterminé par la force des conducteurs, la coïncidence magnétique• électromagnétique et l’environnement géologique, dans la mesure du possible. L’orientation des sondages était lue sur les courbes magnétiques. Le jalonnement des zones conductrices fut effectué dès que furent connus les résultats de l’aéroportée, pour s’en faire réserver la jouissance par le service administratif compétent, avant qu’un concurrent aux aguets ne prenne la place. Les sondages ont lieu en toutes saisons, y compris l’hiver, propice aux sondages sur lac, la carapace de glace supportant de fortes charges. Dans les sondages quelque peu éloignés du lac, l’eau de refroidissement de la couronne de forage est pompée dans le lac et la tuyauterie réchauffée tous les 20 m par un poêle à fuel. Si un poêle tombe en panne, il se forme rapidement un bouchon de glace lorsque la température extérieure est très basse. Il faut le faire fondre au chalumeau le plus vite possible pour rétablir la circulation pendant qu’on répare la panne. La forêt québécoise est superbe avec ses lacs innombrables, surtout en automne lorsque les feuilles des arbres passent par toutes les couleurs. Mais les guides touristiques oublient de mentionner l’invasion des moustiques, taons et petites mouches carnivores qui vous assaillent à partir de la fonte des glaces jusqu’aux premières gelées. Il faut porter des vêtements longs, des bottes, des gants et, sur la tête, un masque d’apiculteur (en vente dans les magasins) sous son chapeau, ce qui n’est pas confortable en été, lorsque la température avoisine 30° à l’ombre. Quand on se baigne dans un lac, pas question de se sécher au soleil : il faut se déshabiller et se rhabiller aussi vite que possible. Quand on est dans l’eau, il est préférable de nager sous l’eau si l’on ne. Ne veut pas avoir une calotte de piqûres sur le sommet du crâne. En hiver, des vêtements à multiples épaisseurs et bien molletonnés permettent de résister aux très basses températures, pouvant atteindre -50C. Une chapka aux oreillettes tombantes protège la tête et l’on peut améliorer le confort en portant une cagoule en laine avec deux trous devant les yeux, et un troisième devant la bouche si l’on est fumeur. La cagoule est indispensable si on conduit un skidoo (scooter des neiges), dépourvu de pare-brise, à 50 km/h sur un lac gelé, par grand froid. Les extrémités étant les plus sensibles au froid, les moufles fourrées indiennes en cuir d’orignal (élan canadien) sont les plus performantes. Les mocassins indiens, prévus pour être fixés sur des raquettes, conservent mieux la chaleur que les bottes fourrées canadiennes. J’avais pu m’en procurer une paire par un ami aviateur qui ravitaillait souvent un camp d’indiens, en lui fournissant l’empreinte de mon pied sur une feuille de papier. La souplesse du cuir d’orignal est assurée par le mâchonnement des femmes de la tribu. L’emplacement du camp fut choisi en bordure d’un grand lac, le lac Doda, proche d’un groupe d’anomalies à sonder. L’accès ne pouvait se faire que par la voie aérienne, hydravion en été-automne, transformé en avion à skis en hiver. Le printemps, réduit au mois de mai, apporte la fonte des glaces et la grande débâcle, et aucun type d’avion ne peut alors se poser. La base, située à proximité de Chibougamau, nous procurait un petit Cessna, un moyen Beaver ou un gros Otter suivant le volume à transporter. La liaison avec la base se faisait par un poste radio émetteur-récepteur à piles qu’elle nous fournissait. C’est par son intermédiaire que se faisait le ravitaillement. Une visite dans un camp de sondeurs me donna le modèle de tente à retenir pour notre camp, une tente assez spacieuse pour servir de dortoir, living-room et cuisine, où l’on puisse se mouvoir à l’aise à 3 ou 4 personnes. Mon prospecteur canadien, homme des bois expérimenté, monta la tente avec son camarade de manière à pouvoir rester hors neige en hiver. Un soubassement en futs d’arbres fut cloué et recouvert d’un plancher amené avec nous par l’hydravion. La façade en aggloméré comportait une fenêtre en plastique et une porte. Un trou dans la tente laissait passer un tuyau de poêle à bois, une plaque d’amiante isolant la toile au passage du tuyau. Le camp reçut rapidement la visite d’un garde chasses et forêts, pour contrôler le diamètre des arbres abattus qui ne devaient pas dépasser une certaine norme sous peine de procès-verbal; nous étions en règle I Et aussi pour contrôler si nous n’avions pas de fusil, car la chasse est interdite aux Blancs qui vivent dans les bois, celle-ci étant exclusivement réservée aux Indiens. Nous, qui voyions paître quelques orignaux à portée de fusil, étions condamnés à manger du corned-beef ! Il fallait préparer une réserve de bois pour l’hiver. Le prospecteur et son camarade sciaient des fûts à la tronçonneuse, l’un présentant le fût, l’autre tenant la tronçonneuse, lorsque passa un hydravion au-dessus du camp. Le camarade qui tenait l’engin leva la tête ainsi que la machine, qui tronçonna le nez du prospecteur d’une bonne moitié. Hémorragie, pansement, appel radio à la base qui envoya immédiatement un Cessna, transport à l’hôpital de Chibougamau. Nez recousu, nez sauvé. Les bois sont très touffus, pleins de ronces, d’arbres tombés. La marche y est pénible; il faut souvent se frayer un chemin à la machette ou bien patauger dans les marécages. Les lacs sont donc les meilleures voies de passage. J’utilisais un canoë léger en polyester pouvant être facilement tiré sur le sol, muni d’un moteur hors-bord et de son container d’essence. Pour passer d’un lac à l’autre, il fallait, si l’on était seul, trois voyages, ce qui permettait une certaine autonomie. Le poste émetteur-récepteur tomba en panne un jour d’automne. Impossible, d’envoyer le message pour le ravitaillement à la base. Après deux jours de rationnement, nous envisagions de rejoindre Chibougamau par nos propres moyens, à la boussole, lorsque débarqua un chasseur. Ayant aperçu notre camp, il venait faire un brin de causette et nous demander si nous n’avions pas un petit morceau à lui mettre sous la dent. Négatif! Il ne restait que du riz. Le chasseur avait rendez-vous avec un hydravion qui venait le récupérer à quelques miles du camp. Il nous sauva de la famine ou d’un voyage incertain, car le lendemain, arrivait un beau ravitaillement et des piles neuves. Un jour d’hiver, je reçus à Chibougamau un appel téléphonique de la base, me faisant savoir que l’équipe de sondage demandait à se faire rapatrier en ville. Il y avait eu un incendie, toutes les tentes avaient brûlé avec mobilier et vêtements personnels. Le feu était parti de la cuisine où le cuisinier préparait le déjeuner; heureusement, il avait eu la présence d’esprit de sauver le plus important : le poste radio grâce auquel il avait pu lancer son S.O.S. A une époque où j’étais seul, je rejoignis mon camp par l’avion à skis. Celui-ci me déposa sur le lac gelé avec mon ravitaillement et repartit. Il y avait eu une tempête de neige et d’énormes congères gelées bordaient le lac du côté du camp. Je gravis la congère et arrivé au sommet, passai au travers et me retrouvai deux mètres plus bas, complètement coincé. J’essayai de faire des encoches avec la pointe de mes bottes, mais celles-ci s’effondraient sous mon poids dès que j’essayais de grimper. Après des essais infructueux dans tous les sens, je tentai ma dernière chance en tassant la neige, bras en l’air avec tout le corps bien raide pour arriver à créer une pente. Ce qui réussit. Je pus la gravir avec les coudes. Arrivé au camp, je m’aperçus qu’il n’y avait plus de bois pour le poêle. Je me réchauffai avec la scie à main en coupant quelques rondins avant de pouvoir allumer un feu. L’hiver arrivant à son paroxysme par -50°C, l’équipe de sondage devait déménager son matériel pour passer à un nouvel emplacement de sondage. Impossible de faire démarrer le tracteur ! Un sondeur eut l’idée d’allumer un feu de bois sous le tracteur pour réchauffer le moteur. Malheureusement, des fuites de gas-oil s’enflammèrent, ce qui déclencha l’incendie du tracteur, rendu inutilisable à jamais. Le transport par la voie aérienne étant très onéreux, j’essayai de trouver un passage par la terre ferme et les lacs gelés, depuis Chibougamau jusqu’au camp. C’était au début de l’hiver; je trouvai un homme des bois qui voulut bien me faire une trace avec son skidoo et Li donnai rendez-vous au camp pour le lendemain midi. De mon côté, j’embauchai un jeune Indien pour m’accompagner et attelai une luge à mon skidoo monoplace pour prendre l’Indien en remorque. Arrivés sur un petit lac situé à une vingtaine de kilomètres du départ, nous sentîmes la glace se briser, et le skidoo s’enfonça, avec son passager, de 60 cm dans l’eau, retenu au fond par une autre couche de glace, fort heureusement plus solide. L’explication était que le redoux ayant succédé à un hiver précoce, l’eau des ruisseaux s’était répandue sur le lac glacé, et une deuxième période de froid avait solidifié la surface du lac. L’indien chaussa mes raquettes de secours, alla chercher des branches de sapin pour sortir le skidoo. De mon côté, j’essayais de vider l’eau qui avait rempli mes bottes fourrées, mais sans les retirer car il faisait -20’C. Une fois sorti de l’eau, le skidoo ne voulut plus repartir, le moteur étant caparaçonné de glace. Après une demi-heure de vains efforts consacrés à tirer sur la ficelle du démarreur à main, nous dûmes l’abandonner. L’indien partit avec mes raquettes vers Chibougamau pour chercher du secours, je l’espère, tandis que je suivais à pied, m’enfonçant dans la neige jusqu’aux genoux. Après deux heures de marche exténuante, la nuit tomba et je me désespérais à l’idée du chemin qui restait à parcourir lorsque j’entendis un bruit de moteur. Mon homme des bois, comprenant que quelque chose était arrivé puisque je n’étais pas au rendez-vous, revenait sur ses traces. Ayant rencontré le skidoo en panne, il avait détaché et pris la luge en remorque de son skidoo. Après une brève explication, je m’installai sur la luge et nous repartîmes. En cours de route, nous rencontrions et récupérions l’indien. Comme le skidoo était monoplace, la luge aussi, l’indien qui était léger, prit place sur mes épaules. Tout marcha bien jusqu’au moment où le plancher de la luge se brisa, mes genoux au sol servant de patins supplémentaires. L’homme au skidoo, dans le bruit infernal de sa machine, n’entendait pas mes hurlements, et je fus traîné ainsi pendant une centaine de mètres avant que le conducteur ne tourne la tête, inquiété par ce drôle de bruit. On abandonna la luge cassée, je continuai le voyage serré contre le conducteur, tandis que l’indien poursuivait à pied avec mes raquettes. Arrivés à la première maison habitée, nous nous arrêtâmes car je ne sentais plus mes pieds depuis longtemps. Avec un couteau de chasse, mes bottes furent découpées, mes pieds dégagés; ils étaient bleus. Frictions dans l’eau tiède pour rétablir la circulation ! Je commençai à sentir mes pieds, de plus en plus, jusqu’à la douleur, à en hurler. Les braves gens me conduisirent en voiture jusque chez moi, les pieds dans une couverture. Au printemps, après la fonte des glaces, j’allai avec un collègue visiter une île où des indices de cuivre avaient été signalés. Un Indien, propriétaire d’un bateau à moteur, nous y conduisit. Il faisait très froid et le lac était agité. Nous étions calfeutrés dans la cabine tandis qu’à l’extérieur, l’indien conduisait son bateau accroché au gouvernail. Les embruns lui fouettaient le visage et les mains, et gelaient sur sa peau, l’obligeant à se donner des claques pour casser la glace qui le gênait. Son rictus de détresse faisait croire qu’il souriait à la nature. Ces quelques péripéties ont pimenté mon séjour au Canada que j’ai beaucoup aimé.      

Une réflexion au sujet de « Le Quebec par Pierre CHAUMONT »

  1. Mon cher Pierre,
    Ton témoignage m a rappelé les moments passés pour mon 3 cycle , pétrologie et carto au nord de Havre st Pierre limite Labrador sur massif d’anorthosite métamorphisé….
    Les mouches carnivores étaient omniprésentes, et je me souviens toujours mon professeur de FAC ( Peterlongo) qui , lors d une visite, ne voulait pas utilisé la bombe d « OFF » huile anti moustique. Moi j en utilisais une bombe par jour, enfin après quelques heures il a connu ces fameuses mouches carnivores… de plus avec lui , la nuit nous avons été  » agressé par un ours que notre canadiens homme de canoé, à tué à la 22 long rifle, ( nous en avons mangé et j ai encore chez moi la peau tannée à Québec…)…
    J en garde des bons souvenir… hormis la noyade d un copain thésard de Grenoble qui s est noyé avec son indien de Mingan dans les eaux glacés d un lac…..

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