Comme les temps et les gens changent ! Roland Pierrot

J’ai toujours conservé une certaine lettre reçue en 1959, d’un « prospecteur amateur » de 63 ans qui effectuait des recherches dans sa région.

Cette lettre m’avait beaucoup touché pour bon nombre de raisons et, si j’en avais souri à l’époque, c’était déjà avec une certaine émotion. Je pense n’en plus jamais recevoir de cette forme, ni de ce style, ces temps et ces générations ont disparu. J’ai longtemps hésité à en faire part au plus grand nombre, certains pouvant bêtement en rire ce qui n’aurait pas été mon objet. Depuis plusieurs années, Monsieur Gabriel Albert Théophile n’est plus de ce monde, je viens de retrouver sa lettre, un peu de temps pour écrire quelques mots autour d’elle, et je vous en livre quelques passages car je pense que c’est déjà un document, le temps passa si vite !

L’objet de cette lettre était d’informer le BRGM d’importantes découvertes de gisements de cobalt, de manganèse, de plomb. etc. ; mais l’intérêt n’est bien sûr pas là. C’était tout d’abord une  » vraie  » lettre recommandée – foin d’enveloppe, invention moderne et peu sérieuse – un parchemin de 30 × 40 plié en quatre, soigneusement collé avec adresse au verso, comme le veut d’ailleurs la règle…oubliée. Monsieur Gabriel Albert Théophile était un primaire des années 1900, annonçant fièrement sa sortie de l’école avec son certificat d’études. Savons-nous ce que représentait de précision dans l’écriture (la plume  » sergent major « ), de connaissance de l’orthographe, et quelle syntaxe ! (Parents, ne comparez surtout pas avec l’écriture et l’orthographe de la majorité des enfants d’aujourd’hui).

Il se présente à la troisième personne et voici quelques extraits :

« GABRIEL Albert Théophile, né le 12 avril 1896 à SARDENT (Creuse) de parents français, fils de sabotier, au sortir de l’école après Certificat d’Études, fit son apprentissage de sabotier et continua à s’instruire… Combattit de 1917 à 1918, sur les fronts de Verdun et d’Orient…

En 1937, créa et fit breveter (n° 840069) son appareil de commande automatique pour machine à creuser les sabots. Mais si sa technique était parfaite, il fallait parfaire l’invention; mais la guerre arrêta ses travaux. En 1950, il annonça à la Saboterie que toutes difficultés étaient surmontées, il était prêt.

Mais l’invention arrivait trop tard, la désertion des campagnes et l’engouement pour les bottes ruinèrent ses projets. Cette amère constatation, combinée avec l’âge, altérèrent sa santé; il lui fallait des promenades, d’abord sans but, puis…»

Et voici comment Gabriel Albert, « le CEA faisant appel à des volontaires pour inventorier les ressources de la France en uranium », se lança dans la prospection avec la même ferveur que dans la saboterie automatisée. Il acquiert un gammaphone en 1957 et un gammamètre en 1958; il fait des fouilles dans sa propriété au lieu-dit « Perrien Chanut  » et dans bien d’autres secteurs; il est très vite convaincu qu’il y a  » beaucoup mieux que l’uranium ou du plomb dans sa région.

Il en vient alors à l’objet de sa lettre au BRGM et relate ses découvertes : en voici un extrait, toujours à la troisième personne

« Fin septembre 1959, de fortes pluies orageuses ayant dénudé et raviné routes et chemins, il se mit en chasse et oh ! stupeur, il reconnaissait dans les rues du village, les minerais d’altération du cobalt (rose et rose mauve avec cristaux fibreux blanc d’étain et rouge rose de cuivre). Et c’est alors qu’osant lever les yeux plus hauts que le sol, et à son grand ébahissement, constata que les maisons du village construite en contre terre, y compris la sienne, étaient en partie bâties en matériaux cobalto-manganeux. Pas de doute, un filon courait sous le Mont de Sardent ».

Il commença alors des travaux de reconnaissance, tranchées, galeries et préleva des échantillons. Soigneusement numérotés, localisés, Il les adressa au BRGM, en demandant une étude sérieuse  » aux savants  » de ce grand organisme  » sur la suggestion de Monsieur l’Ingénieur Départemental des Mines  » à qui il avait fait part de ses découvertes.

Après une longue énumération de la localisation des gisements, on arrive à la fin de sa lettre

« En tout état de cause, je suis à votre entière disposition pour poursuivre mes travaux et pour prendre en accord avec vous, toutes dispositions utiles, heureux que je serais si, vers le déclin de ma vie je puisse me dire : la vie n’a pas été vaine. Pour que vivent et prospèrent ma Patrie, la France et mon pays natal, Sardent, je vous prie. Messieurs de bien vouloir agréer l’assurance de ma haute considération. Fait à Mont de Sardent el 30 octobre 1959 ».