Brèves de cantineNon classé

La Sasca de long en large

J’ai participé à la prospection géologique et minière de la SASCA de 1962 à 1968.

Je l’ai parcourue à pied la plupart du temps (car la belle époque du tipoye était révolue), de long en large et même en travers. La SASCA, c’est quoi me direz- vous ? C’est une région qui couvre le Sud-Ouest de la Côte d’Ivoire en formant un quadrilatère limité au sud par l’Océan Atlantique, au nord par une ligne Toulépleu-Dukoué et à l’est et l’ouest par les fleuves Sassandra et Cavally, d’où son appellation. Elle est uniquement habitée sur ses bordures. La forêt y est de type primaire et aucune piste ne la pénètre sauf sur quelques kilomètres, sur la rive droite du Sassandra et en bordure ouest de Toutefleu à Tabou.

 Cinq géologues et autant de prospecteurs expatriés ont été affectés au lever géologique et à la prospection minière de cette vaste région sur ma période de cinq années. Le rapport de synthèse a été l’œuvre d’André PAPON

 Les affleurements y sont rares, sauf sur la côte et les fleuves, et il est difficile d’y lever une carte géologique. Les itinéraires ont surtout consisté en une prospection alluvionnaire intense. Parmi les manœuvres, certains se sont montrés des << batéyeurs >> de talent. Les concentrés étaient étudiés à Dakar dans le laboratoire de Morosoff.

 C’est au village de Soubré que j’ai été envoyé, au bord du Sassandra, en célibataire, en attendant de trouver un logement décent pour ma famille.

En arrivant, je m’installe pour quelques jours au campement (petite auberge de brousse) du Père FOISSET (père : dans le sens de grand âge). C’est de là que je commence les itinéraires dans le Bakoué, à la fois région et ethnie situées à l’ouest du Sassandra que l’on traverse par un bac. Je n’étais pas trop rassuré car les quelques coloniaux de Soubré me dirent que les étrangers qui se sont aventurés sur le territoire de cette ethnie ne sont jamais revenus.

 En effet, les quelques habitants du Bakoué se considèrent comme les seuls propriétaires de cette vaste région qui a la réputation de receler de 1’or vers les sources de la Hana. Pour ma part, je pense que leur susceptibilité vient du fait qu’ils sont uniquement fétichistes et veulent garder leur tranquillité pour pratiquer leurs croyances. J’ai bien compris qu’il fallait prendre deux précautions : ne pas aller faire ses besoins pressants trop près des autels fétichistes et ne pas refuser de trinquer de quelques verres de vin de palme avec eux.

 Au bout d’une semaine ou deux, à court de ravitaillement, me voilà obligé de descendre à la ville de Sassandra. Le << Père >> FOISSET en profite pour me demander de lui ramener des cartouches de gros calibre, le Bakoué regorgeant d’éléphants.

A mon retour, je le trouve agonisant sur sa paillasse. Il meurt le lendemain malgré la visite du médecin local qui a diagnostiqué un << accès pernicieux  » !!! Et les Blancs de clamer en chœur : << On l’avait bien dit, il a mis des gars à chercher de 1’or dans le Bakoué, loin, du côté des sources de la Hana et les bakouéens l’ont empoisonné >>

Avec un Père Blanc, j’ai organisé un petit enterrement pour ce Petit Blanc bien sympathique.

Peu de temps après, je reçois deux prospecteurs en renfort : Claude que je connais déjà et Marc tout frais sorti de sa formation et tout feu tout flamme. J’envoie ce dernier en prospection sur le Sassandra sur une grande barque plate en alu. Il emmène avec lui sept manœuvres et revient le soir avec un manœuvre de moins… Il avait chaviré dans un rapide et avait réussi à en sauver six mais le septième avait coulé à pic.

Je l’envoie le lendemain chercher le disparu. Il revient le soir dépité : il avait trouvé le cadavre mais n’avait pas réussi à le récupérer. En effet, un crocodile s’en était emparé, le poussait vers sa tanière, aussi il fut impossible de le détacher de sa mâchoire.

Après un mois de célibat, Inge, mon épouse, me rejoint pour un deuxième séjour en Côte d’Ivoire. Dans 1’espoir de lui faire rencontrer des éléphants, je l’emmène en itinérance dans le Bakoué. La plupart du temps, je change de camp tous les jours, quelques fois tous les deux jours.  lnge reste alors seule au camp avec le cuisinier.

Elle raconte une de ces journées : « Tandis que je me reposais, soudain retentissent des cris de toutes parts, des bruits sourds de bâtons frappant des troncs morts. Le cuisinier, brandissant un couteau, court dans tous les sens et me crie «Madame, Madame, les “singes-panzés” sont là. Vite, vite, il faut monter à un arbre. >> Je sors de la tente et vois alors une bande de chimpanzés occupés à se goinfrer de notre réserve de bananes, à renverser notre batterie de cuisine, à fouiller les paquetages dans le camp des manœuvres. Ils progressent dangereusement dans ma direction. Un vieux mâle aux poils blancs qui est manifestement le chef, hurle en se frappant la poitrine. J’empoigne la carabine de mon mari qui lui sert habituellement à approvisionner le camp en petit gibier (pintades, antilopes, singes). Toute tremblante, certainement incapable de viser, je me tiens prête à tirer au cas où le danger se ferait trop pressant. Heureusement, après s’être bien restaurés avec nos vivres et avoir fêté bruyamment cette rencontre inattendue, ils sont repartis comme ils étaient arrivés, c’est-à-dire en faisant résonner la forêt de leurs cris stridents. >>

Au sujet de prospection par barque sur le Sassandra, un autre événement s’est produit :

Claude devait faire la prospection sur un bief bien calme du fleuve où l’on pouvait voir des hippopotames se baigner tranquillement. Je lui suggère alors d’emmener son épouse, Danièle, pour la journée. En effet, les distractions étaient peu  nombreuses à  Soubré ; on ne pouvait  compter   que sur un film par mois, , annoncé à grand renfort de haut-parleur toute la journée dans les rues : << Ce soir, à 21H, grand film de cape et d’épée> !!

Je donne rendez-vous aux marins pour l’après-midi, à un point précis du fleuve que je rejoins par un layon d’environ dix kilomètres. La petite équipe était là et nous devions profiter de la barque pour rentrer à la maison. Sauf que le moteur, têtu comme une mule, n’a jamais voulu démarrer. Nous avons dû passer la nuit sur place, sans boire et sans manger, couchés sur des châlits et branchages. Danièle était assoiffée et heureusement, sur le layon du retour nous lui avons trouvé une liane à eau qui l’a bien désaltérée.

Et côté Soubré, que s’était-il passé ? Mon épouse gardait les deux petites filles de Danièle dont la dernière, âgée de quelques mois, réclamait sa mère pour la tétée. Un biberon fut préparé avec un lait ordinaire que 1e bébé n’apprécia pas du tout !!!

Le lendemain matin, Inge, très effrayée de ne pas nous voir rentrer, alerte les quelques << Blancs » du coin qui lui envoient une salve de reproches : << C’est de la folie d’aller sur la Sassandra, même des piroguiers aguerris ne s’aventurent pas dans certains rapides et c’est infesté de crocodiles ». Elle alerte aussitôt la gendarmerie et c’est ainsi qu’une patrouille nous accueille à la sortie du layon, toute fière de nous avoir retrouvés.

Encore une affaire de barque sur le Sassandra.

Avec André PAPON, nous décidons de faire une coupe géologique complète en descendant le Sassandra en barque, de Soubré à son embouchure. Deux pirogues nous suivent pour le transport du matériel, conduites par des pêcheurs locaux expérimentés. Sur notre parcours, nous rencontrons peu d’humains sauf, totalement isolé sur une île, un chasseur de crocodiles venu spécialement de France (… peut-être envoyé par la maison Vuitton ?).

Au bout de quelques jours, nous avons une bonne récolte d’échantillons de roches et tout se passe bien jusqu’au dernier rapide où notre barque plate en alu se bloque sur un rocher subaffleurant et se met en travers du courant. Impossible de la redresser, de plus elle se retourne sur nous en nous entraînant dans les flots, au risque de nous fracasser le crâne sur les rochers. Pour ma part, j’empoigne d’une main ma carabine et de l’autre ma boussole et je roule dans le courant en me protégeant la tête avec les coudes. Au bout d’un temps qui m’a semblé très long, j’émerge dans des flots calmes, les coudes meurtris mais sain et sauf ainsi que mes compagnons. Outre le fait d’avoir été vexés car les piroguiers sont passés, eux, sans encombre, nous avons déploré la perte de nos échantillons… toutefois nous n’avions pas tout perdu car les observations étaient bien ancrées dans nos têtes et nous avons pu les transcrire.

Après Soubré, j’ai fait un séjour à Guiglo où je lève une partie du Nord de la Sasca. La saison suivante ce sera Tienkoula entre Toulépleu et Tabou, un village proche du Cavally, Pour me seconder, il y a Marc et Alphonse. Pendant nos itinéraires qui duraient trois semaines, nos épouses restaient seules sous la paillotte.

Il restait à couvrir la partie sud de la Sasca, à partir du petit village de pécheurs de Grand Béréby au bord de l’Atlantique qui n’était desservi par aucune piste. La seule solution pour atteindre ce lieu isolé était de louer au Wharf de Sassandra, une ancienne barge de débarquement datant de 1944 et d’aborder au wharf de Grand-Béréby construit par une société forestière allemande qui venait d’ouvrir un petit réseau de pistes sur quelques kilomètres. Nous y avons fait un séjour de huit mois, dans une paillotte dominant la mer. Et nous en avons profité pour faire une cure de langoustes savoureuses que nous fournissaient les pécheurs Fanti pour une somme modique. Sinon, le ravitaillement arrivait par DC3.

Nos itinéraires pouvaient quelquefois nous mener à plusieurs jours de marche de notre base.

Un jour, une des équipes chargées d’ouvrir les layons revient au camp itinérant complètement catastrophée. Le chef m’explique qu’au retour de leur journée de travail ils sont tombés « trompe à nez » avec un troupeau d’éléphants vindicatifs et que, pris de panique, ils se sont éparpillés dans les sous-bois. Malheureusement, au retour, un des manœuvres manquait à l’appel.

Nous l’avons cherché pendant deux jours sans succès. Nous étions très inquiets : combien de temps pouvait-il tenir sans manger dans ce milieu hostile, à la merci des prédateurs de toutes sortes ? Nous avons décidé de rentrer à Grand-Béréby pour prévenir les autorités… Bref, il était là. Il venait de s’extirper de la forêt après plusieurs jours d’errance en maintenant heureusement, le plus souvent un bon cap. Il avait fini par entendre au loin, très loin, un bruit de bulldozer…

Quelques jours plus tard, je suis convoqué à Tabou à l’occasion de la visite du professeur LAPADU-HARGUES qui remplaçait le professeur ROQUES, notre conseiller scientifique. Il était accompagné de Jean BODELLE, Directeur de la Carte Géologique de France et de notre chef de secteur. Le seul moyen pour rejoindre Tabou était de m’y faire conduire en pirogue.

J ’emmène pour ce cours trajet le strict nécessaire dans ma musette, c’est-à-dire : le marteau, la loupe, la boussole et le couteau… Je ne prends aucun papier d’identité dans la crainte de faire naufrage.

Mais à mon arrivée à Tabou, je suis cueilli par deux gendarmes réfractaires à toute explication sur mon manque de pièce d’identité… et puisque je ne suis pas identifiable, ils m’emmènent au poste où je vais y languir une grande partie de la journée. En effet, par malchance ce même jour, le Préfet de Daloa était en visite officielle et la police était sur ses gardes Je ne fus donc libéré qu’après son départ !!!

J ’ai connu aussi la visite de ce même Préfet, à Grand-Béréby. Il parcourait le pays dans le but de récolter des fonds pour la construction de la cathédrale de Yamoussouko!

Enfin, lorsque mon collègue et ami Jean-Pierre CARROUE prit ma suite à Soubré, nous avons décidé de faire une traversée en commun de la Sasca – de Soubré à Grand Béréby – pour coordonner nos observations. J ’ai passé une dizaine de jours mémorables car Jean-Pierre était plein de vie, toujours prêt à plaisanter, bon vivant.  .. Pour la circonstance, Inge avait soigné le ravitaillement et l’avait bien pourvu en légumes verts dont de la salade. Elle avait toujours donné comme consigne au cuisinier de laver celle-ci au permanganate, et celui-ci ne dérogeait jamais à la règle. Mais tout à coup, au cours d’un repas, Jean-Pierre se lève, furieux, vomissant son repas, bavant un liquide violacé qui dégoulinait sur sa barbe grisonnante et m’accusant de vouloir l’empoisonner… C’était le cuisinier qui avait laissé tomber par mégarde une pastille entière de permanganate dans le saladier !!!

En guise de conclusion, je fais mon mea culpa.

D’autres anecdotes pourraient montrer que j’ai été trop téméraire. De n’avoir peur de rien j’ai souvent pris et fait prendre trop de risques. Je me suis rendu compte tardivement que j’aurais dû être plus prudent. Ainsi, pour ce qui va suivre, il n’y avait pas grand danger bien sûr, mais c’est caractéristique de mon caractère audacieux :

J’avais pris rendez-vous avec un chef de l’Administration locale à Daloa pour l’obtention d’un permis de chasse. Le fonctionnaire est arrivé avec une heure de retard. Je lui en ai fait le reproche d’une manière très appuyée… ce qui m’a valu en retour de prendre une belle paire de claques et en plus, de ne jamais obtenir le permis.

Jean LETALENET

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