Brèves de cantine

LES MEMOIRES D’UN TRAPPEUR

LES MEMOIRES D’UN TRAPPEUR
Chibougamau (Québec 1966-1968)

 

De 1966 à 1968, j’ai effectué de nombreuses campagnes de géophysiques pour la recherche de cuivre en Abitibi (province de Québec) dans la région de Chibougamau, ville située à 500 km à vol d’oiseau de Montréal.

Le Canada et ses forêts entrecoupées de lacs, avouez que cela fait rêver ! Et c’est vrai que les paysages sont magiques en toute saison. Surtout en automne quand les feuilles des arbres se parent de toutes les couleurs et en hiver lorsque la neige recouvre la nature d’un épais manteau et que la lumière transfigure tout.

Mais chaque paysage idyllique peut dissimuler des pièges redoutables. Chibougamau, en indien, la croisée des chemins porte bien son nom ! Plus d’une fois, je me suis demandé, lors de situations un peu délicates, sinon périlleuses, si je n’y étais pas moi-même arrivé à la croisée des chemins ? Jugez un peu !

En hiver, le thermomètre peut descendre jusqu’à – 50°C et seules de nombreuses couches de vêtements bien molletonnés permettent de résister. Une chapka aux oreillettes tombantes protège efficacement la tête et on peut encore améliorer le confort en portant une cagoule en laine avec deux trous devant les yeux et un troisième devant la bouche, si l’on est fumeur. Sans oublier les moufles et les mocassins indiens, en cuir d’orignal (élan canadien).

Je n’oublierai jamais le jour, où devant rejoindre mon camp par avion à skis, je fus déposé sur le lac gelé de Doda, avec mon ravitaillement. Il y avait eu une tempête de neige et d’énormes congères gelées bordaient le lac, du côté du camp. Je réussis à en gravir une mais, arrivé au sommet, je passai au travers et me retrouvai deux mètres plus bas, complètement coincé. J’essayai alors de faire des encoches, avec la pointe de mes bottes, mais ces encoches s’effondraient sous mon poids dès que j’essayais de grimper…

Après plusieurs essais infructueux, dans tous les sens, je tentai ma dernière chance en tassant la neige, bras en l’air, avec tout mon corps bien raide pour arriver à créer une pente. Cette tentative fut couronnée de succès et je pus gravir la congère sur les coudes.

Une fois arrivé au camp, je me rendis compte qu’il n’y avait plus de bois pour le poêle. Rien de tel, après cette escalade dans la neige, que de me réchauffer en coupant quelques rondins avec la scie à main afin de pouvoir allumer un feu bien revigorant.

Autre mésaventure inoubliable. Alors que l’équipe de sondeurs devait déménager son matériel pour passer à un nouvel emplacement de sondage, impossible de faire démarrer le tracteur. Qu’à cela ne tienne. L’un d’entre eux décide d’allumer un feu sous le tracteur pour réchauffer le moteur. Ce qui devait arriver, arriva ! Des fuites de gas oil s’enflammèrent et le tracteur se retrouva au sein d’un gigantesque incendie dans lequel il se consuma entièrement.

Et que dire la fois où l’on devait préparer une réserve de bois. Un prospecteur et son camarade sciaient des arbres à la tronçonneuse lorsqu’un hydravion passa juste au-dessus du camp… Celui qui tenait l’engin leva la tête vers le ciel et le bras qui tenait la machine en même temps. Le nez du prospecteur fut tronçonné sur une bonne moitié. Hémorragie, pansement, appel radio à la base qui envoya immédiatement un Cessna pour le transporter à l’hôpital de Chibougamau. Le nez fut recousu et sauvé !

Comment oublier ce jour, où en plein hiver, je reçus à Chibougamau, un appel téléphonique de la base pour m’informer que l’équipe de sondage demandait à se faire rapatrier en ville ? Il y avait eu un incendie : toutes les tentes avaient brûlé avec le mobilier et les vêtements personnels des sondeurs. Le feu était parti de la cuisine alors que le cuisinier préparait le déjeuner ; heureusement, il avait eu la présence d’esprit de sauver le plus important : le poste de radio grâce auquel il avait pu lancer son S.O.S.

Et encore, ce jour d’automne où le poste émetteur-récepteur tomba en panne. Impossible de demander à la base de procéder à notre ravitaillement. Après deux jours de rationnement, il semblait inévitable de rejoindre Chiboumagau par nos propres moyens, à la boussole, lorsqu’un chasseur débarqua. Il avait aperçu notre camp, venait faire un brin de causette mais surtout nous demander si nous n’avions pas un petit morceau à lui mettre sous la dent… Que nenni ! Il ne restait que du riz. Mais ce chasseur avait rendez-vous avec un hydravion qui venait le récupérer à quelques miles de notre camp. Il nous sauva de la famine, ou d’un voyage incertain car, le lendemain, arrivait un beau ravitaillement et des piles neuves.

Voilà quelques-unes de mes aventures les plus marquantes en Abitibi. Je pourrais vous en conter encore bien d’autres… On est tous un peu dans la peau de Jack London ou de James Oliver Curwood lorsque l’on se frotte, surtout en hiver, à une nature indomptée plus prompte à dicter ses lois qu’à prendre en compte l’homme qui s’y aventure.

La première année de ma mission, mon épouse May et mon fils Bruno vivaient dans un bel appartement à Montréal et moi dans la forêt, en toutes saisons.

La deuxième année, j’avais trouvé une maison à Chibougamau et pu faire venir ma petite famille. Entre temps, elle s’était agrandie d’une petite Nathalie qui nous comblait de joie et de bonheur. Bruno allait à l’école pendant que Nathalie, bien emmitouflée, faisait des pâtés de neige dans le jardin.

La nature, celle des hommes, reprend toujours tous ses droits.

Pierre CHAUMONT

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