Brèves de cantine

Un parcours difficile en Land Rover dans les rochers

 

Un parcours difficile en Land Rover dans les rochers

Dans une lettre à ses parents datée de fin Février 1958, Jean Boissonnas, alors jeune géologue en mission au Hoggar, raconte une tournée en Land Rover, faite en compagnie de son chef de secteur, Jacques Ranoux. C’était encore l’époque où l’on découvrait non sans étonnement la solidité de ces véhicules, dont l’usage commençait à se répandre au Sahara. Le « géologue motorisé » allait supplanter le « géologue chamelier ». Boissonnas a extrait de sa lettre le récit d’un parcours en terrain difficile autour du Taourirt-tan-Ataram, montagne importante située à 25 km à l’ouest de la route transsahariennne entre In Amguel et In Eker

20 février. Nous partons avec ma Land Rover pour tenter le tour du Taourirt-tan-Ataram, haute chaîne granitique située à 30 km de notre camp. Nous ne savons pas trop si ça passe …

  Au début, nous roulons à vive allure dans de larges vallées à fond plat, dépourvues de toute végétation, qui serpentent entre de molles croupes saupoudrées de sable. Sous certains éclairages, on pourrait se croire dans le Grand Nord, avec ses glaciers calmes et ses rochers enneigés. L’itinéraire est simple : on vise le but et on passe où l’on veut. Le Taourirt est atteint en ½ heure. Tout à coup apparaissent 5 gazelles. Elles filent dare dare, nous les poursuivons sur un terrain peu favorable. La chasse va louper faute d’une bonne coordination entre nous : les gazelles s’étant séparées en 2 groupes, je me dirige vers l’un d’eux tandis que Ranoux vise l’autre, chacun croyant que son collègue parle du même groupe que lui !

A midi, après un bref casse-croûte, nous repartons vers le sud en longeant le versant ouest du Taourirt dans des oueds pénibles au possible. Tous les écoulements se font en direction ouest, aussi devons-nous couper sur 20 km des myriades de ravineaux et de cassis. Enfin nous doublons le cap méridional de la chaîne et entamons la remontée vers le nord à peu de distance du relief. Or les oueds sont encore plus abominables qu’à l’ouest. Bientôt, on n’avance plus qu’avec le réducteur, il faut descendre au fond de chaque ravinot, puis remonter sur la rive opposée en dansant sur les cailloux. Insensiblement, nous obliquons vers l’ouest et dépassons ainsi le pied nord de la montagne. Il s’agit de rejoindre le reg où nous nous trouvions tout à l’heure. Ce reg, nous le croyons, ou plutôt nous l’espérons, tout proche. De loin, cela semble passer, mais à chaque collet nous découvrons un nouveau chaînon de collines.

Jusqu’à présent, nous avons pu choisir l’itinéraire. Mais voici qu’un vallon unique se présente. 200 m plus loin, à sa tête, le col est obstrué d’énormes blocs. Va-t-il falloir refaire tout le chemin en sens inverse ?
Délibération. Nous déplaçons les blocs les moins gros. Un vague passage se dessine, bien étroit, jonché de parpaings que nous n’avons pu remuer. Je cède le volant à Ranoux, plus expert. Premiers essais : ça grince de partout, des blocs raclent les réservoirs, les pneus se creusent et se gondolent en épousant les blocs.

Effroyable roulis.

Le passage fait 5 ou 7 mètres de long. Les 2 premiers une fois franchis, nous nous trouvons à l’entrée du pas le plus étroit. Comme par hasard, il faut y braquer. Impossible. Recul. Pour reculer comme pour avancer, il faut y aller carrément, hisser la voiture sur les blocs, chaque pneu après l’autre ; un ressort travaille vers le haut, le vis-à-vis vers le bas. Ah, ça patine ? 10 cm en avant, puis vlan vers l’arrière. Nouvel essai vers l’avant pour mieux se présenter au tournant entre les blocs. Las ! Une minute après, la voiture chevauche un bloc, le pont avant en frotte un autre, un roc accroche la portière par en dessous, une roue pend en l’air. Nous sortons le cric, soulevons la roue, glissons des pierres par-dessous, reposons…et la voiture reste décollée du sol. Cependant, il semble possible de reculer. Par inattention, et parce-que j’ai oublié de guider, nouveau blocage. Re-cric.

Et enfin nous nous extirpons, pas plus avancés qu’une heure auparavant. C’est que le soleil commence à baisser ! Alors, si les cols ne passent pas, essayons les crêtes. Et en effet, une chance se dessine. Je grimpe en avant, la voiture suit, parfois dérapant sur les cailloux des pentes ou accrochant l’aspérité d’un caillou en place. C’est affreux, mais moins que le col. Ma pauvre voiture ! Jamais je n’aurais cru qu’on pouvait tant demander à une Land Rover. Descente difficile dans un vallon de l’autre côté : des tournants dans les éboulis sont à prendre en plusieurs fois. Et je n’ai pas pris de photos ! Le petit vallon se resserre sur 300 m en une gorge impraticable. Nous échouons dans un trou, la prison semble se refermer. Plus question de remonter les pentes descendues tout à l’heure. Reconnaissance à pied : ah ! c’est le dernier obstacle, le reg plat est de l’autre côté. Nous trouvons quand même un passage sur le dessus des collines brisées, et nous voilà tirés de ce très mauvais pas.

La voiture semble se porter aussi bien qu’avant, un peu assouplie même ! Je conduis à folle allure jusqu’au camp, visant la montagne du camp et passant n’importe où. Seul ennui : le soleil dans les yeux. Il m’arrive de faire des bonds incroyables sur des obstacles pas vus. Comme à l’aller, le paysage est grisant : vallées larges et peu profondes, étendues de sable jonchées de dolmens et de menhirs naturels entre lesquels je navigue. Nous avons l’espace pour nous, ce jeu semble durer, durer, chaque vallée débouche dans une autre vallées au cours inconnu. Le ciel est noir sur l’est, la grande montagne que nous venons de quitter brille étrangement. Certaines dunes, certaines croupes ensablées réfléchissent une lueur blafarde, d’autres demeurent dans l’ombre. Un nuage se déplace devant le soleil ? La lumière migre et remplace l’ombre, laquelle s’en va engloutir les reliefs qui brillaient.

A la nuit tombante, nous retrouvons au camp notre boy un peu inquiet…

Après l’indépendance de l’Algérie, l’armée a aménagé une piste carrossable dans le secteur. L’auteur l’a suivie en 1982. Tout paraissait si différent ! Impossible de retrouver l’ambiance de 1958,
évidemment.

Jean Boissonnas

Laisser un commentaire