Brèves de cantine

Le pick-up fantôme

Le pick-up fantôme

 

Dès 1970, l’expert Français, Ingénieur Géologue, M. Bardet, suggéra qu’au même titre « qu’il n’y a pas de fumée sans feu » … il ne pouvait y avoir de diamants sans kimberlites. De ce fait l’Afrique du Sud n’avait probablement pas l’exclusivité de cette roche fabuleuse. Alors, pourquoi ne pas en chercher au… Brésil ? De là furent initiée la prospection du Minas Géraïs – Coromandel-, d’où premières découvertes positives étayant sa théorie. Puis ce furent celles du Mato-Grosso, le Rio Batovi, le Camp de Corgao et enfin, la limite Sud du Bassin Amazonien.

 Nous sommes en Septembre 1977, je termine mon premier séjour au Brésil. JM Eberlé rentre de congés porteur de nouvelles fraiches qui confirment les rumeurs qui couraient sur les berges du Rio Batovi depuis quelques mois à savoir : Fini le Mato Grosso (la société va reporter ses efforts dans une autre région au nom plein de promesses d’aventures : l’Amazonie !) et, hélas, fini pour moi aussi le Brésil, remplacé par un Portugais d’Angola. Je suis remis à disposition du Siège !

Avant de quitter mon poste il m’est demandé de sélectionner une quarantaine de gars, volontaires pour quitter la région du Mato Grosso. Pas évident… car le futur job est à seulement 850 kms dans une région encore vierge de toute activité… peuplée d’Indiens pas toujours accueillants ! Ainsi, dans une région où la vente des armes est encore plus libre que le port, vous imaginez lors du départ « la puissance de feu ? »… Représentée par ces équipiers débonnaires ?

Au préalable il convient de les entrainer à ce qu’ils devront avoir à faire pour rejoindre le nouveau site. En principal, arrivés au point fixé, les rives du Rio Papagaïo, redescendre le Rio Juruena jusqu’à Fontanillas avec les bateaux prévus…

Facile sur le fond, sauf que ces gars-là sont des broussards, nés sur ces chapadaos semi-désertiques, de parents eux-mêmes nés sur place ! Ce « sur place » c’est l’aridité du Mato Grosso, la savane arborée sèche, les chapadaos escarpés. Sans lac, ni rivière = sans eau. Alors Rois de la machette et du layonage en brousse certes, mais éventuellement devoir nager et redescendre une rivière en bateau : négatif !

En vérité je prends ce pensum comme une belle prime de départ, car de telle occasion d’exprimer ses capacités d’organisateur sont trop rares dans une vie pour qu’on les boude. Au-delà d’un objectif qui se résume en trois lignes, j’entrevois la multiplicité, la complexité des dispositions à prendre à tous les niveaux. La phase préparation des véhicules et prévision pour une autonomie vivres et boissons d’un mois, plus tout « le reste »… et ce pour quarante gus, n’étant que plaisants hors d’œuvres.

Car, finalement le plus ardu et cocasse fut la formation de ce groupe de volontaires. Notre camp du Corgao était installé sur le sommet d’un chapadao faiblement latérisé. Le Rio Batovi coulait dans la vallée, relativement loin, accessible, mais de toutes les façons pas navigables : donc exclu.

Alors me voilà dans l’obligation de leur apprendre à « mettre à l’eau un bateau » sur la surface pelée battue par les vents du campement ! Comment on y monte, le charge, s’y installe, l’équiper de son moteur, les initier aux manœuvres, au pilotage pendant que les moteurs sont rodés dans des fûts de 200 litres remplis d’eau, qui après avoir transporté de l’essence depuis dix ans, n’en reviennent pas de l’outrage.Mais bon ! Tout se passa bien, car au fond d’eux c’est avant tout des Brésiliens, des battants, des aventuriers dans l’âme. Avec un peu de chance ont-ils hérités du sang qui coulent dans leurs veines d’ancêtres Bandeirantes del Commandante Randon ?

Bien plus tard il me fut rapporté que la dizaine de véhicules partis de Corgaos arriva sans trop de casse à destination. A part quelques ensablements au départ, suivis de quelques embourbements proches de l’arrivée. Vous ne voyez pas la différence ? A bon ? Réfléchissez ! … il y en a une très importante. Ainsi cahin- caha, la colonne arriva à la destination prévue, sur les berges du Rio Papagaïo.

Il est tard, les véhicules sont garés en grappe au bord de la rivière Papagaïo. Demain il faudra descendre le Rio Jurvena jusqu’à Fontanillas. A peine le temps de casser une croûte, et de tendre les hamacs et c’est le déluge : bienvenue en Amazonie. Tous recroquevillés dans leurs hamacs attendant avec impatience que le jour se lève.
Surtout ceux qui ont trouvé stupide de l’installer comme il se doit. A leur décharge, ce sont des « hamacs commandos » utilisés par les forces spéciales Brésiliennes. Unique différence pour la version civile leurs couleurs : rouge, orange, jaune, bleu ! Une pure merveille de technologie : 2,3 kg de toile nylon renforcée, thermo soudée « tout en un » ; grande poche de rangement dessous pour les habits, le hamac, sa moustiquaire, le toit de protection, un ensemble parfaitement étanche à l’eau, aux moustiques et autres… le tout rangé dans un sac diamètre 30 cm X 30 cm. Un hamac de rêve, léger, pratique, confortable. Mais cependant… à l’essentielle condition de bien l’installer !

Or, pour eux, c’était la première fois, au crépuscule, sans prévision météo, et qu’il aurait fallu qu’ils m’écoutent car au moment de la distribution j’ai bien tenté de leur expliquer tout l’intérêt de ce hamac qui m’avait coûté près de deux heures d’étude… pour être convaincu de son pratique. Mais vous imaginez l’attention qui me fut réservée ? Moi, un -Européen-, qui avait la prétention de leur expliquer à eux -Brésiliens-, habitués depuis bébé et même avant, comment installer un hamac !
Le lendemain au réveil, il manque un pick-up.

Par surcroit de malchance le tout neuf, arrivé directement de Brasilia, attendu depuis longtemps, affecté à JM Eberlé.

Enquête, étonnement devenu rapidement stupéfaction générale, puis mystère total et insoluble ! Comment peut-on démarrer, manœuvrer un pick-up sans bruit et le soustraire sans traces, dans l’obscurité d’une clairière artificielle ?
De plus, avec une quarantaine de gars disséminés qui campent aux abords ? Le chauffeur qui arrive avec les clefs de contact à la main ne fait qu’accroitre l’incompréhension. Mais bon ! Le soleil se lève tout à fait et grimpe à l’assaut de la cime des arbres -comme d’habitude- car cette disparition d’un pic-kup ne présageait pas la fin du monde.

Le cuisinier qui en a marre de faire des bassines de café range son matériel, éteint ses feux. Les gars réchauffés, séchés, le travail s’organise ; bateaux à l’eau, chargement, essais moteurs. Soudain un gars s’écrie « Olha rapaz, o carro esta aqui no fondo do rio ! »

Effectivement le pick-up disparu est bien là, sur ses quatre roues, mais par 3 ou 4 mètres de fond. De fait garé en première ligne, capot tourné vers la rivière, le frein à main aurait lâché ? Alors entre éclairs, bruits du tonnerre et frappes de la foudre d’un orage qui semblait avoir pris le campement pour cible, le pick-up a glissé au ralenti sur la berge en pente douce, le temps de se remplir d’eau, il est à présent posé légèrement en aval et au milieu du rio sous quatre mètres d’eau. En transparence on dirait bien un fantôme non ? « THE END », heureusement qu’il y a les photos n’est-ce pas ?

La suite vous vous en doutez ? Treuillage, démontage, nettoyage, séchage, une pincée du célèbre mélange de «y’a-qu’à-faut-qu’on», quelques cris et bonnes suées, un peu de graisse, 10 litres d’huile : moteur en route ! … In situ… bien sûr, car le premier garage est à seulement 260 kms et le portable pas encore imaginé !

Guy Le Logeay
D’après le récit de JM Eberlé d’un rocambolesque périple commencé depuis Corgao

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