Brèves de cantine

Une petite erreur d’orientation

Une petite erreur d’orientation ou Comment on peut se tromper lors d’un raid en terrain inconnu.

 

Texte adapté dune lettre à ma famille du 5 novembre 1960

… Depuis 3 jours, je me trouve dans une région splendide. Les dalles granitiques et les dunes s’organisent en tableaux admirables, notamment à la fin du jour. A l’horizon, vers l’ouest, se profile la grande table d’In Zize, dernier relief avant la plaine inexorable du Tanezrouft. De tous temps, on a dû compter par là avec les Touareg pillards. Ces bandits d’honneur se sont encore manifestés ces jours-ci, d’après ce qu’on m’a dit. Ils ont pillé une caravane d’étoffes venus d’In Salah, mais en grands seigneurs, ils ont laissé à chaque membre de la caravane un chameau et une outre d’eau (…)

Du camp, la vue s’étend par-dessus un premier plan aplani sableux, puis un deuxième plan de dunes. Des pitons lisses émergent de-ci de-là. La lune est pleine ces jours-ci et la qualité des nuits est magnifique. Il fait bon le soir, nous nous étendons alors sur le sable pour deviser ou regarder.

Nous ne sommes pas arrivés ici sans mal. Tout est venu d’un malentendu sur la toponymie entre le chauffeur, qui s’appelle Rabah Zatouta, et moi. Je croyais que Zatouta connaissait la route, alors qu’il connaissait en fait une trace menant à une montagne qu’il croyait avoir le nom de celle que je visais, à savoir l’Ihouhaouène. En fin d’après midi, après avoir dépassé la montagne de Tioueiine vers l’ouest, je voyais que celle-ci s’obstinait à rester à l’est alors que j’aurais voulu la voir passer au sud-est. De telles situations sont désagréables : on se doute, au bout d’un certain temps, que quelque chose ne va pas, mais on n’arrive pas tout de suite à diagnostiquer pourquoi. Sur la carte, on n’y comprend rien et périodiquement, on croit découvrir un agencement de collines et de montagnes éloignées qui collerait à peu près : on se sent encouragé à continuer pour voir, non sans ressentir au fond de soi-même que cela devrait coller encore mieux. On en vient alors à se dire que la boussole doit être fausse. Et puis arrive le moment fatidique, la révélation, en l’occurrence : « Mais enfin, cette montagne que tu connais, c’est bien une grande montagne aux pentes lisses ?  » — « Ah non, répond le chauffeur, ce sont deux petites collines sombres à 10 km l’une de l’autre ! »

A ce stade, les choses ont commencé à s’éclairer, mais j’ai voulu poursuivre encore pour trouver un point de repère précis. Trait de lumière subit : cette grande montagne tabulaire à 20 ou 30 km au nord, avec ses bords escarpés que couronne une falaise, c’est certainement une épaisse coulée volcanique (ici, il ne peut s’agir de grès des Tassilis), il s’agit donc de Nahalet, la voisine méridionale d’In Zize ! Donc nous avons dépassé l’Ihouhaouène, et en effet, nous réussissons à l’apercevoir environ 50 km au nord-est. Il est déjà 16 heures.

Jean Boissonnas

 

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