Brèves de cantine

Une visite de hauts fonctionnaires.

Une visite de hauts fonctionnaires.

 

Texte adapté de lettres à ma famille datées du 21 janvier et du 16 février 1960

 … Je me trouve depuis peu sur le gisement de minerai de tungstène dit de Renaissance [[appelé Nahda par les équipes de la SONAREM après l’indépendance de l’Algérie]]. Je n’ai guère commencé à l’étudier car depuis mon arrivée, il a fallu y promener des officiels de l’OCRS (« Organisation commune des régions sahariennes »[[Fondé en 1957 et réunissant les régions désertiques d’Afrique de l’ouest et du nord, cet organisme disparut après les indépendances des Etats africains en 1958 et de l’Algérie en 1962. .]] ) et, aujourd’hui, le directeur de l’observatoire de Tamanrasset venu pour des expériences de magnétisme.

 Les visiteurs de l’OCRS faisaient partie de cette catégorie de hauts fonctionnaires français qu’on nomme à des tâches sur lesquelles ils ont peu d’éléments d’information. Il s’agissait pour nous d’obtenir crédits et permis de recherche… Ils ont été ravis par l’imprévu de leur voyage : leur avion spécial s’est perdu et n’a atteint Tam que grâce à la comparaison du paysage et de vieilles photos d’un bouquin de Frison-Roche qu’ils avaient dans leurs bagages ; ils ont eu un gros vent de sable ; ils ont mangé des briques parce que le ravitaillement n’était pas arrivé. « Enfin, disaient-ils, enfin, pour la première fois depuis 2 ans que nous allons au Sahara, nous voyons ce que c’est. » Ils n’avaient connu que la corvée des visites du champ pétrolier de Hassi Messaoud : Super Constellation [[Le meilleur avion classique, à hélices, de l’époque.]] au départ d’Orly, amphi sur place et visite d’une installation de forage, fouille dans un tas de sable où l’on avait dissimulé au préalable des roses de sable (après quoi, on leur offrait un sac tout préparé pour y glisser la rose), puis repas au champagne, puis retour à Paris. Par-dessus le marché, l’un de ces messieurs a fait céder son lit sous son poids et a terminé la nuit assis dans un véhicule, à l’abri du blizzard naissant (…)

 Dimanche, promenade dominicale avec deux jeunes prospecteurs. But choisi : des falaises de grès que l’on devinait à l’horizon, annonçant les approches du Niger. [[Ces plateaux, ces falaises, faisaient partie du Tassili du Hoggar, un peu à l’est du Tassili de Tin Rerhoh qui s’allonge en une longue pointe vers le nord. ]] Nous avons dû dépasser vers le sud toute carte existante – ces dernières s’arrêtant au 20ème parallèle – et dès lors, nous sommes entrés dans un monde tout nouveau, un monde mystérieux et envoûtant, le monde des grès des Tassilis, découpés en vastes tables hautes de 50 à 100 m, cernées par le sable et posées sur la plaine, en donjons isolés par l’érosion, en forteresses séparées par de profondes entailles. On pensait aussi à des navires se profilant sur la haute mer : l’un d’entre eux, entouré de dunes et un peu incliné, semblait battu par les flots.

visite_reduit_1.jpg Ces ruines, Ces donjons, faisaient place vers le sud à des formations de même nature mais beaucoup lus continues . Vue à contre-jour, la lumière était d’une dureté que je ne connaissais pas encore à ce point. Le désert total, mélange de canyons et d’étendues aplanies et aveuglantes. Mon record de sud, par surcroît. A chacun de mes records de sud, j’ai éprouvé la même exaltation, mais cette fois, le paysage était réellement exceptionnel.

Avisant une grotte aux flancs d’une falaise, nous y avons découvert des gravures rupestres, un peu effacées mais de bonne qualité, montrant surtout des girafes, avec un remarquable mouvement de la queue. Les grottes favorables étaient exposées à l’est. D’autres, plus profondes et a priori plus favorables encore, mais exposées autrement, se révélaient stériles. Certaines s’enfonçaient jusqu’à 20 m sous terre, se réduisant à des boyaux où voletaient les chauves souris.

 La journée a été attristée par un accident. Mon chien Fido, qui s’était écarté de nous pendant un instant, a voulu nous rejoindre en coupant au plus court. Alors que nous passions au pied d’une falaise, nous l’avons vu tout à coup apparaître au sommet, vouloir sauter (à cette heure, le relief ressort très mal, et le sable du bas pouvait lui sembler n’être qu’à 1 m seulement) puis, ayant soudain compris son erreur de jugement, chercher à se rattraper : trop tard, une coulée de sable l’emportait. Ayant atterri avec un grand « bong ! », il ne bougea d’une heure. Puis il se remit un peu, mais il avait une patte arrière complètement cassée au niveau du fémur, c’est-à-dire dans le gigot : impossible par conséquent de fixer une attelle à cet endroit, à moins d’être un spécialiste.

Depuis 2 jours, son état semblait plutôt s’améliorer ; nous savions cependant très bien qu’il demeurerait tristement estropié. Puis ce matin est survenu un visiteur qui a quelques connaissances médicales et qui, tout bien pesé, pour Fido comme pour moi, pour le présent et pour l’avenir, étant donné l’absence de tout vétérinaire, m’a conseillé d’en finir…

Jean Boissonnas

 

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