La ruée vers le platine dans l’Adrar des Iforas (1958-1959) Jacobus Gravesteijn et Guy Weecksteen

Scènes de la vie de tous les jours, qui ne prennent tout leur sel qu’après coup

Cette mission nous a apporté son lot d’émotions et de moments forts, surtout au néophyte saharien. La prison de Kidal, chef-lieu de la subdivision administrative couvrant la partie désertique nord du Cercle de Gao, renfermait les prisonniers dangereux de l’Afrique Occidentale. Elle était considérée comme une prison de haute sécurité, moins par ses murs épais ou ses cellules hermétiques que par les étendues de désert qui l’entouraient. Certains prisonniers assuraient l’entretien des pistes qui parcouraient l’Adrar des Iforas, et il était courant de croiser des groupes de prisonniers/cantonniers sur les routes de l’intérieur. Ils étaient généralement « encadrés » par un méhariste touareg qui, à la bonne franquette, faisait porter son fusil par un prisonnier, très fier de son privilège !

À Tin Zaouatène, sur la frontière algérienne, nous avons campé au « bordj », ancien fort bien conservé, isolé dans les sables, avec sa pompe à essence anachronique désaffectée. Il constituait un havre de confort, ne serait-ce que par la relative fraîcheur de ses murs épais, appréciable lorsque la température atteint 40°. Ce bordj avait été abandonné par un détachement de méharistes – un goum – qui lui avait préféré l’inconfort spartiate d’un oued.

Nous avons invité le lieutenant et les deux sous-officiers au bordj pour un repas simple : tomates, steak-frites, salade verte et crème chocolat en boîte – il se trouvait que nous avions pu nous approvisionner à Kidal en légumes cultivés par les habitants -, le tout accompagné de pain presque frais et de bière rafraîchie dans des chaussettes de laine mouillées, car au Sahara, plus épaisse est la chaussette, plus fraîche est la bière ! Destinée imprévisible des chaussettes amoureusement tricotées par grand-mère. Nos invités, qui vivaient de riz, de dattes et de gibier, n’avaient pas vu une bouteille de bière depuis un an.

Ces Européens du goum étaient, du reste, très dissemblables. Le sergent fantasmait sur le « café-bar » qu’il allait acheter en France une fois ses « quinze ans » terminés, tandis que le lieutenant, corps d’ascète aux yeux bleus, comme il se doit, décrivait avec passion sa vie dans les grands horizons. Il nous expliqua le drame survenu quelques années plus tôt dans le bordj : après y avoir fait un séjour confortable prolongé, les goumiers avaient refusé de reprendre la piste et avaient assassiné l’officier français, dont la tombe, dans les sables, nous avait intrigué à notre arrivée. Un goumier, parti à chameau pour prévenir le QG à Tamanrasset, était arrivé après une course ininterrompue de 24 heures. Le chameau, lui, était tombé raide mort, mission accomplie. Depuis, le bordj avait mauvaise réputation et n’était plus très fréquenté.

Le lendemain, un méhariste nous apportait le courrier que nous avions proposé de poster en France. Celui-ci était accompagné d’une lettre calligraphiée du lieutenant – apanage des sages pour qui le temps n’existe pas – dans laquelle il se confondait en remerciements pour l’accueil, les tomates et la bière de la veille. C’est à ce moment-là que nous avons réalisé qu’à l’heure de la bombe atomique – c’était l’époque -, il existait encore des pionniers vivant dans un isolement complet durant trois années, ravitaillés une fois par mois en vivres et en courrier par chameau ! Leur seule concession à la modernité était un poste radio assurant la liaison avec Tamanrasset, poste dont la dynamo était actionnée par un pédalier. La maquette de la carte topographique IGN à 1/200.000 que nous leur avons fournie constituait la seconde concession.

Peu après ces événements, une mésaventure nous arriva à In Firkit. Figuré sur la carte comme point d’eau, le puits en était sec, mais nous décidâmes néanmoins d’y installer le camp : notre réserve d’eau nous assurait une certaine autonomie et le puits d’In Azaraf était à 30 km. Un certain jour, le chauffeur n’étant pas rentré de la corvée d’eau, nous sommes partis sur les traces de son « power-wagon » car, dans ce pays, il faut réagir vite. Rapidement, les traces devenant désordonnées, il devint évident que le chauffeur avait fait la chasse à une gazelle et qu’absorbé par sa chasse, il s’était trompé d’oued.

Comme la nuit tombait et que le relief devenait de plus en plus accidenté, après avoir suivi à pied les nombreuses pistes de chèvres censées nous conduire au puits, nous décidâmes de passer la nuit à côté de notre véhicule. Une boîte de sardines, du pain sec et la dernière bouteille de bière chaude furent partagées entre frères d’infortune et il ne nous resta plus qu’à attendre le lever du jour pour essayer de rejoindre le puits « à travers champs. » Pour du tout-terrain, ce fut du tout-terrain, dans des oueds étroits où il fallait dégager le passage en déplaçant les blocs qui les encombraient. Nous apprîmes plus tard que la veille, dans les mêmes lieux, le chauffeur avait dû boire l’eau du radiateur ! La chance avait été avec nous, nous avons retrouvé le puits avec des Touaregs, car on peut mourir de soif à côté d’un puits si l’on n’en possède pas une corde et un seau !

 

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