Visite aux volcans

« Appelez-moi Monseigneur. Ça vous amusera et ça me plaira » disait-il dans sa tenue d’un autre siècle, collant jaune moulant et bourse de cuir suspendue à la ceinture. Le guide du château était en pleine forme. Il nous mena devant un minuscule trou d’eau qu’il appelait source ancestrale… Une source au sommet d’une butte, comment est-ce ? Les sources se situent dans les vallées, jamais sur un piton car il faut une réserve d’eau pour l’alimenter. Sinon d’où viendrait l’eau ? des toitures du château ou une citerne fuyarde ? des toilettes peut être ? Ce n’est pas le moment de poser la question… 

De toutes façons, les toilettes moyenâgeuses étaient des latrines sèches donnant sur l’extérieur et situées en hauteur, un moyen efficace d’évacuer les odeurs. Elles nous surplombent d’ailleurs sans vergogne, en débord de la muraille, selon les habitudes de l’époque. On disposait ainsi d’un avertisseur odorant contre les visiteurs importuns et ça ressemblait déjà à une guerre bactériologique contre les ennemis ! Au 14ème siècle on ne plaisantait pas avec les mesures défensives dans cette forteresse de Murol, perchée bien haut sur un promontoire abrupt. 

Les murs épais de plusieurs mètres sont parfois amaigris par éboulements sur l’extérieur, découvrant alors quelques portes intérieures qui, dès lors, ouvrent sur le vide. On comprend pourquoi dans le parcours de visite se trouvaient quelques avertissements « porte infranchissable ». C’est plus prudent ! De fait, une bonne partie du château est visitable malgré ces destructions qui n’ont rien de militaires. Elles sont dues à la récupération de pierres taillées, d’encadrements sculptés de fenêtres, de portails, par la population du village. Cela n’empêche pas l’introduction du modernisme dans les pièces visitables. C’est en effet le Seigneur du lieu en personne qui nous accueille dans son cabinet de travail au deuxième étage du donjon. Dès l’entrée, sa voix retentit et il s’anime, tel un hologramme, marchant de long en large derrière son bureau. Il s’interroge, sur les décisions prises et les revenus de la seigneurie. On ne lui répondra pas car les temps ont bien changé…

En Auvergne, les châteaux moyenâgeux ne manquent pas, en ruines sans doute ou restaurés parfois. Ils couronnent nombre de pitons ou sites élevés. A croire qu’on passait son temps à se faire la guerre. D’une vallée à l’autre, d’un village à l’autre, on volait le bétail et les terres du voisin, quand ce n’étaient pas les femmes. Cette saine émulation virile attira toutefois l’attention d’ordres religieux qui entreprirent de multiplier, en réponse, abbayes, couvents et églises monumentales, véritables vaisseaux de pierres taillées face aux épaisses forteresses de pierres brutes.

Issoire, petite ville lovée dans le fond de vallée de la Gouze Pavin, se glorifie de son abbatiale St Austremoine évangélisateur de l’Auvergne. C’est un édifice roman aux colonnes intérieures entièrement peintes comme elles le furent jadis ; mais aussi avec une vaste crypte semi enterrée, semi éclairée, impressionnante de sobriété. Le silence, un rai de soleil oblique sur le sol, la lueur hésitante de bougies devant le reliquaire, plus une petite dose d’encens, n’est-ce pas propice à la spiritualité ? C’est tout le mystère et la force de ces édifices souterrains. Ce n’est pas la seule ville ou village à avoir ainsi un édifice religieux surdimensionné muni d’une crypte aux multiples colonnes et voûtes entrecroisées : des structures solides en pierres de taille noires ou grises. Alors ce sont des cryptes qu’on visite et qui font concurrence aux caves de Saint Nectaire, Fourme d’Ambert et autres Cantal ! C’est qu’il y a abondance de vaches dans le paysage et quelques crus fromagers de bon aloi. 

C’est alors que les différents âges historiques se rejoignent au sein d’un même village, réunissant la laiterie moderne avec un donjon moyenâgeux voire des tombes mérovingiennes. Quant à la « Font Marie », fontaine qui fournit l’eau publique sur la place du village depuis cinq siècles, elle est dédiée à la Vierge Marie mais se consacre à Ève, synonyme de « Eau » dans ces temps anciens ; rapprochement audacieux de la Vierge et de la Tentatrice…

En somme, tous les âges ayant vécu ici ont laissé trace de leur habitat, y compris le troglodyte, encore utilisé il y a quelques décennies dans le village de Perrier. Celui-ci semble bien porter son nom vu la facilité d’exploitation de ces pierres. En pratique, ces grottes aménagées sont creusées dans des roches assez tendres constituées de cendres volcaniques compactées. Elles sont, en revanche, recouvertes d’une coulée de lave compacte et solide jouant un rôle de toiture naturelle et étanche.

D’après les géologues la chaine des Puys s’est constituée ici à la faveur d’une cassure profonde du socle granitique ancien. Selon les dates ou les lieux, les volcans ont projeté des cendres ou déversé de la lave en fusion lors des éruptions. Se sont ainsi superposées des roches de consistances différentes. Les cendres se sont consolidées en couches poreuses et perméables d’où s’écoulent des sources d’eau peu minéralisée, comme à Volvic. Quant aux coulées de laves, grises ou noires, elles sont devenues basalte, une roche résistante bien adaptée à la construction.

En refroidissant ces laves ont eu le bon goût de se fissurer selon des plans géométriques appréciés des humains. C’est ainsi qu’on peut admirer l’esthétique de tuyaux d’orgues à six côtés, voire de colonnes romaines selon l’imagination locale. En d’autres lieux on peut facilement détacher en larges plaquettes les lauzes qui couvrent les habitations traditionnelles. Les cartes routières signalent même un point de vue sur la roche tuilière dont le nom est suffisamment explicite.

Il en est ainsi de la chaine des Puys, un nom bien bizarre pour des montagnes, une déformation de « podium », un mot latin que nous utilisons dans un sens plus modeste. En tout, il y aurait près de 80 volcans du Cantal à la Limagne. Inutile de les compter et ils sont bien en alignement. L’explication est évidente sachant que le magma en fusion sous forme de laves remonte des profondeurs là où la croûte terrestre est fragile. Or la croûte terrestre solidifiée semble de plus faible épaisseur dans l’alignement de la plaine de la Limagne jusqu’au Cantal. C’est donc une zone propice à l’émergence de volcans. Et comme après chaque éruption la lave refroidit et durcit dans le conduit d’accès à la surface, l’éruption suivante sortira par une autre fissure dans le voisinage.

La dernière éruption, là où se trouve maintenant le lac Pavin, aurait eu lieu il y a environ 6 700 ans. Même à l’échelle humaine, c’est bien peu : à peine trois fois plus ancien que la naissance du Christ ou la colonisation romaine. A l’époque, nos ancêtres n’habitaient déjà plus les cavernes mais des villages et cultivaient des champs. Ils ont pu assister aux dernières éruptions mais n’en ont laissé aucune trace mémorielle. A cette époque, leurs cousins de Bretagne alignaient des menhirs à Carnac…

D’autres signes de la chaleur terrestre à profondeur relativement réduite se manifestent, telles que les sources chaudes. Celles de Chaudes Aigues étaient bien connues des Romains. Elles sortent du sol à 80 degrés : trop chaudes pour y mettre le doigt, pas assez pour cuire un œuf. En somme, inadéquates pour se laver ou faire la cuisine… Mais ce fut sans doute le premier chauffage urbain écologique de France : dès le 14ème siècle, et géré par les utilisateurs. Ceci jusqu’à la création d’une station thermale récente monopolisant toute l’eau chaude des sources publiques.

La station thermale du Mont-Dore sent le 19ème siècle par son architecture vieillotte, tout en étant très active en été, à en juger par ses embouteillages. Ce nom de Dore n’a rien à voir avec le soleil couchant et son éclat doré sur les monts environnants… Rien à voir avec cette vue poétique. Il s’agit d’un ruisseau, la Dore, qui fait source à la Dordogne. Finalement, ce nom de ville sème la confusion, car c’est aussi celui du volcan voisin, qui fait partie « des » monts Dore. Passons. Le mieux est de se rendre au pied de ce mont, qui est aussi station de ski à ne pas confondre avec la station thermale. 

Au pied « du » Mont Dore donc, à côté du téléphérique qui permet d’y monter sans efforts, un panneau indique le sentier d’accès pour randonneurs. Une jeune femme à l’allure sportive semble s’y diriger. Renseignons-nous :

« Vous connaissez ce sentier ? c’est long ?

– Ça va, dit-elle avec un grand sourire, j’en descends à l’instant ». 

Alors tant pis pour la promenade bucolique accompagnée ! La montée mécanique c’est bien aussi.

Au Puy de Dôme, pas d’ambiguïtés. C’est bien le mont au profil caractéristique, une référence, presque une marque. Les Romains l’avaient bien remarqué et en avaient fait un lieu sacré. On monte au sommet par un train à crémaillère qui suit en spirale le flan de la montagne et donne ainsi une vue panoramique totale sur la chaine des Puys et les plaines environnantes. 

Vingt minutes plus tard on arrive au sommet, ou presque au sommet car le point culminant est occupé par des antennes radio. Magnifique point de vue dominant, à nouveau sur 360° comme on s’en doute. Avant de redescendre, on remarque un chantier de reconstruction d’un temple romain, édifié il y a près de 20 siècles, ce qui en fait vraisemblablement le chantier le plus ancien du monde. Ce temple était dédié au dieu Mercure protecteur des voyageurs, mais aussi des voleurs ce qui ne rassure pas vraiment le visiteur.

La descente à pied mène aux calmes pâtures et petits bois. Ici et là, apparaissent quelques blocs de la roche qui compose le Puy de Dôme : la dômite qu’on ne trouve guère ailleurs. C’est une roche plutôt spéciale, poreuse, peu dense, blanchâtre comme de la craie… Rugueuse également, ce qui en fait un objet pratique pour récurer la peau.

Ce fut un voyage dans l’usure des siècles, en somme. Même les montagnes sont usées. Car la base de l’Auvergne, ce sont ses volcans. Parti leur rendre visite, je les ai trouvés bien calmes, assoupis pour tout dire…

Serge RAMON Voyage d’été 2022