Brèves de cantine

Sésame, débouche toi !

Lettre envoyée de Tamanrasset en mars 1957,
intitulée : « Sésame, débouche toi ».

 

logo_on … (NB : c’était vers la fin de ma première mission ; jusque là, travaillant non loin de Tamanrasset, j’étais à pied, mais déménagé périodiquement par un camion de la base)

 Ayant étrenné une Land Rover assez neuve, et tout jeune conducteur encore inexpérimenté, je partis le lendemain sur mes terres. Tout heureux de disposer enfin de cet instrument de travail, je fis voler ma monture sur la piste tout juste refaite, que de la sorte j’inaugurai à nouveau. A mes côtés, le boy Abderrahman grillait cigarette sur cigarette, jouissant de l’importance nouvellement acquise par son employeur. Ce jour là, tout alla bien. A vrai dire, le chargement était mal réparti, trop sur l’arrière, aussi l’oued ne fut-il remonté qu’en première et seconde alternées.

Ce n’était pas bien grave.

Le lendemain, après une matinée à pied, il fut question de mettre en marche la voiture. Le moteur tourna pendant deux secondes et demie, puis tout fut dit. Sans trop de mal, je nettoyai le carburateur qui me sembla assez encrassé. Ah, ces Anglais ! Ils ont le chic pour rendre inaccessible la vis la plus utile. Figurez-vous que l’arrière du carburateur est retenu par une vis placée la tête en bas, au sein d’un lacis confus de fils divers. Les positions diverses que j’imprimai à mon corps à seule fin d’atteindre cette vis n’auraient pas été déplacées dans un film de Charlot…

 Et la voiture marcha… Je gardai durant 24 heures l’illusion que j’avais contribué à cet heureux renversement du cours des événements. Le lendemain, installé en camp secondaire avec un minimum d’équipement, je voulus repartir. Le moteur tourna pendant deux secondes et demie. Durant quelques instants, tout sembla dit. Cela remarcha sur 100 m, en direction du camp que je cherchais à regagner. Puis un silence définitif plana sur le désert.

Il faisait chaud. Comme il avait fait chaud la veille dans des circonstances analogues, le sage Abderrahman crut pouvoir attribuer au soleil tous nos maux passés, présents et peut-être à venir. Je n’étais pas loin de le croire : on ne sait jamais, avec les coefficients de dilatation des métaux… Bref, un traitement identique à celui de la veille n’apporta aucune amélioration à l’état de la patiente…

Le soir, le soleil étant tombé, on procéda sur les conseils du maître Abderrahman à un nouvel essai. Le moteur ne voulut pas marcher, le soleil fut mis hors de cause et la Science se trouva sauve. Ce même soir, le manchon de la lampe à pétrole se réduisit en poussière. « Ba ba ba, dit alors Abderrahman, ça n’va pas aujourd’hui ».

 Le lendemain matin à 7 heures, je me plongeai corps et âme dans le ventre de la bête. Tout fut exploré, tout fut changé… L’allumage était en parfait état, les bougies pétillaient, je les changeai néanmoins à tout hasard. La pompe à essence fonctionnait. Il y avait de l’essence dans le réservoir, de l’eau dans le radiateur, et qui sait, dans l’essence aussi. Ce fut par un effort de volonté que je m’empêchai de changer jusqu’aux pneus. Quant à la LR, elle béait de plus belle et marchait de moins en moins. Chaque fois, elle tournait pendant deux secondes, puis s’arrêtait. En désespoir de cause, je dis alors : « Abderrahman, porte ce mot à Tamanrasset. C’est à trois heures de marche par la montagne. Va, et qu’Allah te protège ».

Une demi-heure après, et par le plus grand des hasards, je découvris que l’aiguille appelée pointeau, qui contrôle le trou du gicleur, était coincée. On ne m’en avait jamais parlé. C’était simple, et facile à réparer. Mais Abderrahman, alors ? Il était irrattrapable. Ce ne fut pas long. En avant pour Tam. Ah mes amis ! Sur un trajet d’une heure un quart, je gagnai 25 minutes. Il y avait d’abord un coin très compliqué, où ma trace se voyait à peine, serpentant de montagne russe en montagne russe : quelle griserie que de foncer à toute vitesse sur ce type de terrain. En route, je finis par fausser la direction, dont les boulons se desserrèrent ; mais n’ayez crainte, quand la direction d’une LR commence à faire clac-clac-clac, on en a pour encore quelques centaines de km avant qu’elle ne casse (direction et amortisseurs sont les points faibles de ces véhicules). Arrivé à Tam, je me précipitai au devant d’Abderrahman. La rencontre se produisit au beau milieu de la plaine de Tam, au débouché de la montagne. Joie de mon boy, qui a un certain sens de l’humour et à qui j’épargnais ainsi une heure de marche.

A Tam, j’appris du mécanicien que l’essence des fûts était sale, que le coincement du pointeau est la panne classique des LR, surtout au moment où l’on change de réservoir (car il y a deux réservoirs, un sous chaque siège : je l’ignorais au début, d’où la stupeur du préposé à la pompe quand, ayant fait le plein selon moi, je voulus repartir en me demandant pourquoi il insistait pour déplacer le tuyau de l’autre côté de la voiture). Pour décoincer le pointeau, il suffit de tapoter le carburateur avec un marteau ou un caillou, sans rien démonter !

Simple.

Jean Boissonnas

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