Pour ouvrir le débat, quelques zeugmes de mon invention
« Le garagiste manquait de ressort, de vis, d’écrou et d’inspiration »
« Le bel hidalgo jouait de la prunelle et de sa guitare pour gagner quelque argent et le cœur de la belle »
« Don Juan jeta sa cape sur ses épaules, son dévolu sur la blonde suédoise et un coup d’œil dans son décolleté »
« Dans sa maison transformée en cocon, il filait un mauvais coton et un parfait amour »
« Dans un même temps, il entra en religion, à l’Académie et dans le troisième âge »
« Il traînait sa patte folle, sa tristesse et les bistrots au fil des verres et des jours ».
Et pour continuer
« Il parlait en anglais et en gesticulant » (Frédéric Dard), exemple type du zeugme où le verbe avec son ellipse concerne deux, voire trois objets très différents.
Plus périlleux, le double zeugme
« Après avoir sauté sa belle-sœur et le repas de midi, le Petit Prince reprit enfin ses esprits et une banane » (Pierre Desproges).
Ces figures de styles étaient couramment employées par nos auteurs anciens : « Vêtu de probité candide et de lin blanc. » (Victor Hugo) ou « Contre ses persiennes closes, Mme Massot tricote, enfermée dans sa chambre et dans sa surdité » (Roger Martin du Gard), ou encore « … levant les yeux et une main implorante… » (Virgile, l’Enéide XII) et « Sous le pont Mirabeau coule la Seine et nos amours » (Charles Baudelaire).
Sans doute peut-on vivre sans connaître cette figure de style (héritée du grec et qui signifie liaison). Elle conduit pourtant à des formulations des plus réjouissantes : « Elle est pulpeuse, sensuelle, protestante. » Par rapport au thème, représenté par le mot « Elle » dans la phrase, les deux premiers qualifiants, pulpeuse et sensuelle, sont parfaitement homogènes. En revanche, leur est immédiatement coordonné, par une juxtaposition absolument contiguë, un troisième qualifiant, « protestante », qui appartient à un tout autre registre de signification que les deux précédents (Georges Molinié, Dictionnaire de rhétorique, Paris, Le Livre de poche, 1992)
Compliquons le débat
Si le mot sous-entendu est au milieu de la phrase, c’est un mésozeugme . C’est un protozeugme s’il est au commencement, et un hypozeugme s’il est à la fin. Un zeugme peut être syntaxique (le fait de ne pas répéter un élément commun dans une phrase présentant deux membres parallèles) ou sémantique (le fait de rapprocher deux mots qui ne peuvent être mis sur le même plan à un élément commun).
Pierre Dac était passé maître dans le maniement de cette figure de style : « Il vaut mieux s’enfoncer dans la nuit noire, plutôt qu’un clou dans la fesse gauche » ou bien encore « Il vaut mieux prêter à 15 % qu’à confusion ».
Et pour conclure les chanteurs s’en sont emparé : « Alors elle va s’ manger une pizza, au jambon et au centre commercial » (Renaud, « Mistral gagnant», « Le Retour de la Pépette »)
Une prochaine fois, je vous conterai l’histoire des oxymores (du grec oxy : spirituel et more : stupide) : « De sombres clartés éclairaient mes nuits blanches ».
Quel plaisir de jouer avec les mots ! Non ?
Jacques RICOUR