Brèves de cantine

LETTRE DU SOUDAN

« Ils allaient conquérir le fabuleux métal que Cipango mûrit dans ses mines lointaines. » José-Maria de Heredia

Ce vers figurait sur le panneau peint dans le grand amphi de l’École de Géologie de Nancy. Sorti de son contexte, il apparaissait naïf aux étudiants que nous étions et il ne fallait attendre aucune pitié de cette génération 68 dont je faisais partie. Ce vers prêtait donc à sourire. Et pourtant, une fois la retraite venue, je m’apercevrais que c’est bien lui qui soutiendrait ma vie professionnelle tout au long de son déroulement : extraire les métaux après que les géologues les eussent localisés et quantifiés, l’or surtout.

C’est donc pour faire partager les émotions ressenties, lors de l’ouverture des mines découvertes par les géologues du BRGM, que j’ai voulu écrire un livre. Je le dédie à tous les géologues-explorateurs qui m’ont permis, par leurs travaux, d’exercer pleinement mon métier et de vivre ma passion. C’est de ce livre qu’est extrait le texte suivant.

J’étais venu au Soudan, en 1984, pour une mission de quelques jours afin de donner mon avis sur le traitement des minerais d’or des gîtes de Ganaët et de Kamoeb. Situés en plein désert du Nord Soudan, à plusieurs heures de « route » de Port Soudan, deuxième ville du pays, et de la capitale, Khartoum, ces deux gisements présentaient des caractéristiques très différentes et ne pouvaient faire l’objet d’un même type de traitement.

Cependant, bien que l’utilisation de l’eau soit indispensable, pour l’un comme l’autre, on nous donna la consigne de ne pas en utiliser ! Ce qui était tout simplement impossible ! Nous nous mîmes alors à étudier les solutions les plus économes pour en obtenir. Ce fut finalement le recours à des nappes souterraines, moyennement éloignées (10 à 20 km), qui fut retenu. Mais, il s’avéra rapidement que la faible disponibilité de l’eau limitait la quantité de minerai traité. La rentabilité était donc fortement remise en cause.

La crédibilité du BRGM était en jeu !

Mais le Bon Dieu des géologues veillait. Il jeta sur le projet HassaÏ un regard bienveillant. Relégués au second plan, les gisements de Ganaët et de Kamoeb !

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Les installations industrielles en janvier 87

En effet, Hassaï occupait déjà toutes les têtes. Dès lors, il s’avéra que si un projet devait voir le jour dans le secteur d’Ariab, ce serait avec ce minerai. On n’en connaissait peu de choses à l’époque, mais il semblait déjà très prometteur. Là aussi, se posait le problème de l’eau et, comme je le disais, dès 1984, « pas d’eau, pas d’or ».

Le gisement d’Hassaï fut ainsi nommé parce qu’il avait été découvert par Hassaï, un berger soudanais, qui avait rapporté aux géologues une pierre qui s’avéra, après analyses, contenir de l’or.

Trois ans plus tard, j’étais sur le site d’Hassaï pour le lancement et la construction du projet. Entre temps, l’affleurement était devenu un gisement. Il n’était pas étonnant que ni les Anciens ni les nouveaux n’aient vu l’or d’Hassaï car il était extrêmement fin : tout au plus quelques microns. Cela ne l’empêchait pas d’être très accessible à la cyanuration et on obtenait d’excellentes récupérations après un simple concassage, si bien que la lixiviation en tas s’imposa. Par chance, c’était le procédé le plus économe en eau.

Début décembre 1986, sur Hassaï même, on en était déjà à la construction d’un projet pilote de 150 t/j.

J’allais devoir passer les fêtes de fin d’année sur le site et il me revint, à ce propos, que la personne chargée de l’entretien était un expatrié embauché localement. Marié à une soudanaise, il avait deux enfants. Devant me rendre à Port Soudan pour faire retravailler une pièce d’équipement, je décidai de faire un petit Noël aux enfants en leur offrant des bonbons.

Pour aller à Port Soudan, on conduit d’abord en plein désert. Si la route ne convient pas, on peut en suivre une autre mais sans trop s’éloigner des traces car on est vite perdu.

A midi, mon chauffeur et moi avions fait la moitié du chemin et atteint le goudron. Nous nous arrêtâmes pour nous reposer près d’un petit appentis recouvert de toile et de de sacs de ciment vides. C’était un « restaurant » et Hassan, mon chauffeur, m’invita à y pénétrer. Certaines de ses connaissances s’y trouvait déjà et je fus invité à partager leur repas. Naturellement, pas de couteau ni de fourchette ! Il fallait prendre directement dans le plat, à la main, et manger. C’était une première pour moi mais je plongeai la main dans la nourriture, non sans avoir vérifié mentalement mon carnet de vaccination ! Dieu est Grand (et Pasteur aussi). Finalement, tous furent satisfaits de mon adaptation aux coutumes locales et me le firent savoir. Dans la soirée, nous atteignîmes Port Soudan où m’attendait le représentant local du BRGM.

Le lendemain, ma pièce à retravailler étant portée dans l’atelier idoine, j’eus toute la journée pour acheter des bonbons. J’en profitai pour visiter cette ville typiquement Africaine aux rues remplies de monde mais aussi d’ânes et de chèvres qui broutent les tas d’ordures sauvages. Tout cela sous le soleil.

Je me rendis chez un boutiquier. Il était gros et gras derrière son comptoir au-dessus duquel s’étalaient, en rangs serrés sur les étagères, du thon (don du Japon), de la farine (don des USA), de l’huile et du lait (dons de la Communauté Européenne) et bien d’autres marchandises, toutes provenant de dons faits par les différents organismes pour les « pauvres soudanais » . Qu’on ne me dise pas que les organismes donateurs n’étaient pas au courant de la revente ! Mais en fait, c’est un vrai métier que de distribuer ces denrées et il faut sauver sa place d’abord !

Je demandai des bonbons et en achetai deux sachets. Ils n’étaient les dons d’aucun pays. A Noël, je les donnai au père qui, surpris et ému, les emporta chez lui pour les offrir à ses fils. Un Noël en pays musulman, c’est sûr que ça peut surprendre. Mais, pour moi, la tradition était respectée !

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Le désert de sable et de rochers

Comme vous l’imaginez, dans le désert, en dehors de la contemplation du paysage, il n’y a pas grand-chose à faire. C’est ainsi qu’en trois mois de mission, j’écrivis plus de soixante lettres d’au moins quatre pages. Famille, amis, tous en étaient abreuvés ! Et j’attendais leurs lettres pour leur répondre à mon tour. Je stockais mes missives et les remettais « au facteur », en réalité, un petit avion qui faisait office de messager.

La majeure partie de mon temps était consacrée au démarrage du projet : mise en place de la station de concassage et d’agglomération, concassage du minerai et début de la lixiviation. Tout avançait normalement. Début janvier, la lixiviation pu démarrer ainsi que l’adsorption sur du charbon actif, dont une unité avait été mise en place sur le site par l’intervention d’un des consultants américains.

Je dois dire que ce consultant était effrayé, voire fâché, par la petite taille du projet, 150t/j : trop peu pour une unité industrielle et trop grande pour un pilote. En réalité, on testait non pas la technologie, mais le pays lui- même et la possibilité d’y développer des projets.

Mais comment dire ça diplomatiquement sans blesser nos partenaires soudanais ?

Vint la fin janvier 87 et le jour de la première coulée d’or. Rien ne se passa comme prévu.

Normalement, une fois la colonne de charbon saturée en or, elle passe en élution et électrolyse. Puis, les cathodes constituées de laine de fer avec de l’or métallique fixé dessus étaient fondues et le lingot coulé. Tout avait été testé auparavant, mais à blanc.

A chaque étape, il s’agissait d’une première à la fois pour le projet mais aussi pour nous : première fois que nous procédions aux opérations finales d’obtention du métal. Le four, toujours utilisé à blanc, était opérationnel. Le consultant avait retenu, l’option d’un four qui, lorsqu’il était relevé, ne nécessitait que peu de déplacement de la lingotière à la coulée. Pour ce faire, l’axe de rotation était situé non pas près du centre de gravité mais en avant, sur la partie supérieure. Si bien que, pendant la rotation, le poids entier du four était soulevé et supporté par cet axe. Un petit engrenage assurait la rotation. Tout fonctionnait parfaitement.

Le jour de la coulée, l’ensemble des actionnaires du projet se déplaça sur le site pour l’inauguration. Même le Ministre des Mines était là. ! J’avais eu juste le temps, en maugréant, de dire au responsable local que nous aurions dû être seuls pour cette première ! Peine perdue !

On fit le tour des installations et vint le moment tant attendu de la coulée.

On tourna la manivelle et le four s’éleva lentement. Et tout à coup : bang ! il retomba lourdement dans sa position initiale. On essaya de le lever mais rien n’y fit : la manivelle tournait dans le vide ! Une dent de l’engrenage était cassée. Et le dispositif de relevage, qui permet de vider le four, était inopérant. Quelle souffrance que d’aller annoncer cela à notre responsable de Khartoum.

Il ne fit ni une ni deux et emmena, malesh, immédiatement, les visiteurs qui comprirent que quelque chose de grave venait de se passer. Ils prirent, malgré tout, leur mal en patience. Nous ne savions pas encore, à ce moment-là, s’il serait possible ou non de couler un lingot. Mais après évaluation de la situation, nous pensâmes cela possible après refroidissement du four et extraction du creuset.

Nous dépêchâmes quelqu’un pour prévenir le chef qu’il faudrait revenir dans une heure environ. En fait, boukra ne nous est pas permis à nous, étrangers !

Nous reprîmes le travail de plus belle. Il s’agissait d’un bidouillage incessant car les solutions envisagées au départ s’avérèrent vite inopérantes dans le court laps de temps qui nous était alloué. En effet, l’avion qui ramenait tous les visiteurs devait absolument quitter HassaÏ de jour. Finalement, en extrayant le creuset à l’aide d’une grue et en le refroidissant à l’air comprimé, nous parvînmes, à l’aide d’une barre à mine à extraire, devant l’assistance, le fond métallique du creuset : le premier lingot d’or d’Hassaï. Un accouchement au forceps ! Ce lingot avait la forme d’un disque rond et peu épais, en fait la forme du fond du creuset. Ce n’’était pas courant mais, sur les photos, le résultat était flatteur. Tout le monde était ravi. Surtout le vieil Hassaï qui avait découvert le gisement car il était photographié avec le lingot !

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Premier lingot d’Hassaï avec le berger Hassaï

De retour à Orléans, je rencontrai à la cantine un des géologues explorateurs qui avait travaillé sur le site d’Ariab. Il me félicita de « ma bonne idée » d’avoir coulé le premier lingot sous la forme d’un disque au lieu du parallélépipède habituel, si peu photogénique…Retour ligne automatique
Comme quoi on peut toujours tirer gloriole de ce qu’on fait, même si c’est raté ! Mais la leçon avait porté et jamais nous ne refîmes une première de ce type devant des autorités.Et bien sûr, pour assurer encore plus et mieux nous décidâmes de changer le modèle du four. Inch’ Allah !

Le Soudan, c’est le pays de la philosophie IBM : Inch’ Allah, Boukra (demain), Malesh (ce n’est pas grave).

Cela marche tout le temps et à tous les niveaux !