Brèves de cantine

Une folle équipée

Une folle équipée

 

logo_on Dakar, été 1965, bureaux du BRGM rue Mermoz….préparation de la mission de reconnaissance 65-66 en Mauritanie…

Je suis courbé sur ma table de travail, le nez collé au stéréoscope et je viens de découvrir sur la photographie aérienne que je visionne quelques « chicots » noirs qui émergent d’une mer de dunes…Pour moi, ce sont incontestablement des guelbs – petites collines dans le jargon du désert – de roches et mon excitation est immédiatement à son comble, car ces cailloux perdus au milieu des sables pourraient être un jalon stratégique pour la compréhension des phénomènes géologiques que j’étudie plus au sud…

Toutefois, je dois avouer que la raison de mon enthousiasme n’est pas seulement scientifique mais traduit aussi ma quête permanente d’aventures et ma soif de découvertes. Cela étant, mon excitation du moment retombe vite, car je me doute qu’aller voir ces cailloux sera non pas mission impossible mais mission interdite…En effet, le secteur concerné se situe bien au- delà du cadre de la reconnaissance programmée…sans omettre en outre les problèmes de budget et de sécurité que cela allait poser !

Mais mon patron de l’époque était sympa, était lui-même géologue et avait connu aussi l’aventure en milieu souvent difficile. Je n’eus donc guère de mal à le convaincre de m’autoriser à cette incartade au-delà du parallèle de Moudjéria…

C’est ainsi que quelques mois plus tard, le jour se levait sur le bivouac que nous avions installé près de la piste Aleg-Moudjéria, laquelle matérialisait la limite nord du territoire qui nous était attribué. Une heure plus tard, nous affrontions les premières dunes, avec le sentiment de laisser dernière nous le dernier fil qui nous reliait à notre base arrière, voire à la civilisation…

Nous avions voulu une logistique aussi légère que possible : deux landrover, celle de René Brosset, et la mienne, encadrant un camion dont le frêt était essentiellement constitué de fûts d’eau de 200 litres.

La première journée fut à la fois un avant-gout et un apprentissage de ce qui nous attendait. Elle se déroula lentement, au rythme d’une vitesse de croisière ralentie par une progression dans le sable souvent erratique et par des manœuvres parfois acrobatiques pour franchir les dunes. Mais nous étions dans notre élément, avec ce sentiment de liberté que nous apportait chaque fois la perspective d’une expédition à notre guise vers l’inconnu…

C’est le deuxième jour que tout aurait dû s’arrêter…La matinée était déjà bien avancée et j’ouvrais la marche, tout en dégustant le paysage lunaire qui s’offrait à moi au-delà de mon volant. Je m’arrêtais régulièrement pour vérifier qu’on suivait derrière, en l’occurrence le camion. Mais cette fois-ci, la pause s’éternisa et ce fut finalement la landrover de René qui apparut…Le verdict tomba : le camion était immobilisé, on ne pouvait plus passer les vitesses ! Or, on était déjà à deux jours de la piste du retour…

Cela aurait dû être une panne rédhibitoire, mais c’était sans compter avec la débrouillardise des chauffeurs de la base de Dakar…Celui de notre camion expliqua – sans nous dire comme c’est bizarre –, que c’était simplement une question de « clavette » et qu’il pouvait la remplacer…par du fil de fer ! Le suspense dura un petit moment, mais chose dite, chose faite et le camion repartit !

Ne pas avoir fait demi-tour signifiait que nous avions confiance, mais la clavette « made in desert » de notre chauffeur aura été une véritable épée de Damoclès tout au long des huit jours que dura notre périple. Mais nous n’y pensions pas, soutenus que nous étions par l’adrénaline qui nous poussait à avancer sans états d’âme…

Tout se passa bien finalement, grâce à un chauffeur qui était béni des dieux ou qui était né avec un manuel du système D dans la bouche ! La boucle prévue fut bouclée, après avoir bien sur abordé à les toucher les dents rocheuses qui étaient à l’origine de notre folle équipée. On en ramena, imaginez, un échantillon de « zoisitite à corindon « !

Cette fois-là encore ce fut « chaud », au sens propre comme au sens figuré, mais nous étions alors jeunes et beaux et ne reculions devant rien….

…sauf peut-être, au marché de Dakar, devant la mama au boubou coloré qui dans un accès de colère brandissait un couteau en nous menaçant, dans un langage tout aussi coloré que son boubou, de nous couper les .……. !

Jean-Claude Chiron

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