Brèves de cantine

Une confiance absolue dans la technologie.

Une confiance absolue dans la technologie.

L’aventure se passe au début des années 80. Soutenu par les projets européens, le BRGM avait développé conjointement avec le Laboratoire Central des Ponts et Chaussées (LCPC) une sonde destinée à doser, in situ dans les forages, les éléments caractéristiques des différentes formations géologiques.

C’était une instrumentation très sophistiquée destinée à être simplifiée pour des applications minières. Nous avions jeté notre dévolu sur le dosage du phosphate, le BRGM possédant des participations minières dans la mine de phosphate de Taïba au Sénégal. Mais il nous fallait trouver un site en France pour nos premières expérimentations devant conduire à une étude de faisabilité.
L’endroit choisi se trouvait en Picardie, près d’Albert, où le phosphate avait surtout été exploité avant la guerre de 14. Les teneurs étant relativement faibles, le gisement utilisé pour l’amendement des sols avait été abandonné puis, au fil des années transformé en circuit de ‘motos vertes’.

Bénéficiant d’un hiver rigoureux, nous avions décidé de nous rendre sur place, contraints par les impératifs européens. Mais la préparation de la mission fût un peu plus longue que prévue et, quand nous arrivâmes sur le terrain d’expérimentation le dégel venait de s’amorcer. Là nous découvrîmes à quel point un terrain argileux gelé en profondeur et recouvert d’une couche de boue pouvait être glissant. Même à l’arrêt les vibrations du moteur du véhicule suffisaient à le faire glisser dangereusement en contrebas du chemin qui devait nous mener au forage. Là il fallut réagir vite si nous ne voulions pas voir ces 18 tonnes d’acier bourrées d’électronique dévaler ces quelques mètres abrupts qui nous séparaient de la couche convoitée. Tout planter sur place n’était d’ailleurs pas plus rassurant.
J’entrepris alors de mettre les chaînes, tâche rendue très difficile par la taille des roues du camion, jumelées à l’arrière. Je capitulai après la troisième roue. Quand je sortis du dessous du camion je vis le visage de Jean-Yves Moal décomposé; il me fallut quelque temps pour réaliser que seul le blanc de mes yeux émergeait de cet océan de boue.

Nous parvînmes néanmoins à poursuivre notre chemin, puis à positionner le camion près du forage. Là le véritable labeur commença car il fallut résoudre les problèmes inexorables liés à l’alimentation de 120 000 volts du générateur de neutrons, puis nous approvisionner régulièrement en azote liquide auprès de l’hôpital d’Amiens pour maintenir à basse température le détecteur de rayons Gamma.

Le soir venu, nous nous dirigeâmes vers notre hôtel à Albert. Et quelle ne fût pas notre surprise, non seulement nos chambres n’étaient pas chauffées, mais on nous servit pour tout repas 3 os se battant en duel au milieu de quelques feuilles de choux.
Les jours suivants, ne déviant pas de notre objectif de doser le phosphate, la dure réalité s’imposa: les teneurs étaient trop basses pour être mesurées. Il fallut donc faire quelques contorsions au moment de rendre le rapport final.

Mais cette histoire ne finit pas si mal car cette expérience douloureuse nous permit de développer une instrumentation plus robuste qui nous guida en 1986 vers la mine de Taïba. Notre expérience africaine nous parut un jeu d’enfants, d’autant plus que la technique d’activation neutronique en forages s’avéra potentiellement utile par son utilisation dans les forages d’exploitation.

J’ai gardé la clé du forage picard minutieusement rangée dans mon bureau; il y était écrit en toutes lettres « Ribemont sur Ancre ». J’ai dû me résoudre à la mettre à la poubelle quand je partis à la retraite en 2007.

Jean-Louis Pinault

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