Brèves de cantine

Gare au Gorille

Gare au Gorille

par Etienne Wilhelm

logo_on Cela s’est passé dans les années 1965-1966 au Mayombe congolais, chaine montagneuse inhospitalière, située à une centaine de kms à l’Est de Pointe- Noire, zone assez accidentée et difficile d’accès, couverte par la Forêt Vierge.

J’y effectuais, dans le cadre d’une mission de prospection pour plomb-zinc, des tranchées complétées par une galerie de reconnaissance permettant de suivre la minéralisation sulfurée mise en évidence. Mon campement, composé de quelques cases en branchages couverts de feuilles, était installé sur une butte partiellement déboisée pour permettre à la lumière de percer la canopée; il était situé à environ vingt minutes de marche du chantier.

Un beau matin, et contrairement à toutes les résolutions et précautions d’usage, je partis rejoindre le chantier tout seul, accompagné de mon seul boxer, et je me suis retrouvé, au détour de la piste, face à face avec un gorille, mâle solitaire impressionnant par sa taille. On m’avait dit qu’en pareille situation, il fallait gesticuler, crier, se frapper la poitrine pour montrer sa force. Hélas, j’étais tétanisé, aucun son ne sortait de ma gorge; le gorille, traversant la piste, était à 2m ou 3m de moi en aval, visiblement aussi surpris que moi de cette rencontre insolite. Ma réaction, non réfléchie, fut la fuite vers le campement et mon chien en fit autant. Nous nous y retrouvâmes tous les deux, quelques minutes plus tard, haletants, tremblants et choqués, et je me remémorais avec effroi les récits d’accidents relatés par mes prospecteurs le soir autour du feu, survenus dans les villages avoisinants du fait des gorilles. (Seules d’ailleurs étaient épargnées les femmes enceintes ou portant bébé; mais c’est une autre histoire!).

Cette péripétie, somme toute banale bien qu’inhabituelle, aurait pu en rester là si elle n’avait pas été reprise et étayée, à la faveur d’un discours d’anniversaire, par un fiston aimant taquiner la muse. Je vous propose quelques extraits de sa narration de l’épopée relative au premier séjour africain de ses parents.


« Mesdames et messieurs, je vous prie d’écouter
cette histoire en phrasés que j’aimerais vous compter…..
…..
Les voici donc contraints à chercher pied à terre
Dans un havre plus prospère que celui de leurs pères.
Cherchant bonne aventure ils allèrent s’installer
Aux frontières du monde et de sa destinée,
Dans un pays peuplé de noirceurs de toutes sortes
Sombre comme un enfer, l’Afrique en quelque sorte.

De cet exil pourtant je connais une histoire,
Moult fois racontée devant large prétoire,
Dont j’aimerais sans trahir et pour cette noble cour
Réveiller la mémoire en en comptant le cours.

Dans ce pays lointain il arriva qu’un jour,
A travers la forêt empruntant un détour,
Il fut mis face à face et même nez à nez,
D’une chose que Brassens a su si bien chanter:
Un gorille et oui Mesdames, avec tous ses atours,
Dont le souvenir vivace du héros de ce jour
Me permets de tracer une fidèle description
Que j’aimerais vous livrer sans autres intentions.

Un monstre, une horreur, une ignominie infâme,
Un corps luisant d’aigreur comme recouvert de larmes,
Surgissant des abimes la gueule terrifiante,
Les naseaux dilatés, la gorge pétrifiante;
Il avançait fumant, emplis de sifflements,
Son corps de ses malheurs reflétait les tourments;
Et ses membres difformes agités de l’effroi,
Que sa vue inspirait à ses nombreuses proies,
Se tordait en douleurs et moult contorsions,
C’est de l’enfer même qu’il était le poison.

Face à cet être hideux bon prince qu’il était,
Maitrisant la nausée de l’horreur qu’il voyait,
Il montra son courage et sans plier bagage,
Affrontant son destin au péril de son âge,
Il afficha la force et le combat fut sien.
Terrassé par l’horreur de sa propre existence,
Le monstre disparut rejoindre avec prestance,
Le tréfonds des abimes là même où les dieux
N’osent s’aventurer tellement brûle le feu.

Heureux qui comme Etienne a fait un beau voyage,
Puis s’en est retourné avec femme et bagages,
S’installer à St Cyr près duquel coule la Loire.
Depuis lors sans tourments se poursuit cette histoire,
cassant caillou par ci, creusant la terre par-là,
N’est-il pas magicien si en tous les endroits,
Où il pose ses pas il surgit un éclat;
C’est à trouver de l’or (dit-on) qu’il est le plus adroit »
…..

E. Wilhelm

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